Neuf années se sont écoulées depuis The Texas Jerusalem Crossroads du trio Lift To Experience, double album dantesque ayant pour thème le jugement dernier. Un disque miraculeux, enregistré en prise directe. Le guitariste-chanteur Josh T. Pearson, fils de prêcheur, réincarnait à lui seul la puissance mystique du Gun Club, la foudre électrique du shoegazing et le lyrisme vocal hanté d’un Jeff Buckley.


Hélas, une série de drames engendrèrent la fin précipitée du groupe. Nous restions depuis sans nouvelles, à l’exception de quelques rares concerts acoustiques donnés en solo. Neuf ans plus tard, après avoir écumé les salles entre Austin et Paris, l’homme et sa guitare réapparaissent à l’occasion d’un disque collectif, West Country Night, dans lequel il chante des reprises et des ballades country-folk brutes au coeur de la nuit aux côtés de songwriters estimés : les Français H-Burns et Thousand, l’hypnotique américaine Bosque Brow et l’Australien Tom Cooney… Josh Pearson a gardé son allure de cow-boy texan à Santiag, mince et élancé, une barbe désormais épaisse, porteuse de sagesse ou de folie, on ne saurait dire. Surtout, son regard bleu intense, vif et attentif, a de quoi déstabiliser.

Voici une anecdote qui commence par la fin de notre entretien. Arrivée la question rituelle des cinq albums favoris, Josh Pearson hésite longuement avant d’établir sa liste personnelle. Sur un bout de papier, les noms de Pet Sounds (Beach Boys), Loveless (My Bloody Valentine), Aeroplane over the Sea (Neutral Milk Hotel) et The Texas Jerusalem Crossroads sont griffonnés. Votre serviteur lui fait alors remarquer que tous ces albums sont des oeuvres insurpassées, dont les auteurs ne sont pas parvenus à donner une suite. Le texan est effectivement surpris par ses choix révélateurs. Plus tard avant de se quitter, il revient me saluer, et me remercie d’avoir fait cette remarque, qui l’a manifestement fait réfléchir. Le trouble fut cette fois réciproque.

Pinkushion : J’ai eu la chance d’assister à un concert de Lift To Experience voilà presque dix ans au Trabendo, en première partie de Stephen Malkmus. J’en garde un souvenir vibrant. Le son était tellement fort, que lorsque vous aviez branché la guitare, le premier rang avait spontanément reculé d’un mètre.

Josh T. Pearson : (rire) Oh je vois, vous étiez fan de Lift To Experience. Ça me rend heureux, que vous ayez été dans le public ce soir-là. Nous étions avant tout un groupe de scène. Pour être honnête, je n’étais pas satisfait du son de ma guitare pendant le concert, on entendait à peine ma voix.

Neuf ans se sont écoulés depuis The Texas Jerusalem Crossroads. Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ?

J’ai été pas mal occupé. Après la dernière tournée de Lift To Experience, je suis retourné au Texas où j’ai passé quatre ans. Je n’ai pas beaucoup bougé de ma maison dans un premier temps. J’ai un peu travaillé, quelques petits jobs en ville. J’ai pas mal réfléchi et composé(silence)… Ensuite, la femme de notre bassiste, Josh Browning, est morte. Le batteur et moi ne pouvions plus continuer, c’était devenu trop dur pour moi, artistiquement. J’ai décidé de faire une pause, de me concentrer et prendre du recul. Je me suis posé au milieu du Texas, car je n’avais nulle part ailleurs où aller. Je me suis forcé à chercher la chanson idéale.

Emotionnellement, vous n’étiez plus satisfait par votre écriture ?

Non, ce n’est pas que j’étais insatisfait. Je n’étais plus dans une place où je pouvais m’emporter, j’avais besoin de sortir des choses qui étaient en moi. Il y avait le besoin d’explorer de nouveaux horizons, de retrouver du courage. Je n’avais pas envie d’enregistrer un nouvel album. Je suis resté quatre ans dans mon patelin, puis une année à Dallas. J’ai dormi sur différents canapés, chez différents amis. Ensuite ce fut un petit peu Austin, et puis Berlin pendant deux ans, puis retour au Texas. Et maintenant je suis fixé sur Paris depuis un an. J’ai donc un peu vagabondé, joué seul avec ma guitare, simplement pour m’accompagner, sans aucun support venant d’une maison de disque. Je souhaitais juste me tenir à l’écart, rechercher la chanson.

Jossh Pearson, 24 Juin Nouveau Casino. (c) Morgan Cugerone (lecargo.org))

Ajourd’hui, il y a d’abord cet album, West Country Night, et puis un album solo qui est en train d’être enregistré sur le label Mute.

Josh Pearson : Oui, ce sont des chansons country. Des chansons acoustiques très tristes et directes. Des chansons longues, pas de guitare électrique, ni de post rock (silence). J’ai accumulé une centaine de chansons depuis 2001. J’ai commencé à utiliser un accordage standard sur ma guitare en 2002. Avec Lift To Experience, j’utilisais des accordages spéciaux. J’ai voulu mettre de côté tous ce son noisy et composer une bonne chanson avec un accordage standard. J’ai écrit une chanson pop, et ce fut une évidence, tout prenait sens. Ça a totalement changé mon approche de l’écriture. Les chansons que je suis en train d’enregistrer sont proches de ce à quoi j’aspire. Certaines sont dans l’esprit de Town Van Zandt, des chansons de storyteller avec de longues histoires chantées à la première personne. Mais elles sont uniques, comme Josh Pearson. Certaines durent 20 minutes. Ce sont parmi les meilleures chansons acoustiques que j’ai écrites. Ma voix aussi a changé depuis 10 ans, je chante différemment. J’ai 36 ans maintenant. On dit au Texas que « ce n’est pas l’âge qui compte, mais les kilomètres parcourus ».

Et pour West Country Night, vous faites un peu office de maître de cérémonie.

Si c’était le Johnny Cash Show, alors je suppose que je serais Johnny Cash : je leur dirais quoi faire, « tu es le prochain à jouer, je suis le suivant, etc. » (rire). Le disque avec ses invités ne sonne pas comme un produit country américain standard, c’est ce que j’aime. Ce fut une très bonne expérience ; tout a été écrit ici, dans cette pièce (ndlr : nous nous trouvons dans la crêperie West Country Girl près du quartier d’Oberkampf à Paris, lieu même où les sessions ont été enregistrées).

Pourquoi avez-vous décidé de venir vivre à Paris ?

(en français) « J’ai dû fuir le Texas ! » J’aime Paris, je me sens ici chez moi.

Lift To Experience fut très bien accueilli par les critiques en France. Et vous avez pas mal tourné ici à l’époque. Est-ce une des raisons qui vous ont poussé à venir vivre ici ?

Non, pas exactement (ndlr : il vit avec sa femme photographe Claudia Grassl). Paris est une ville très romantique pour un gars qui vient de la banlieue du Texas. La lumière est sublime, l’architecture aussi. Il y a quelque chose de reposant dans cette ville, je voulais m’échapper de mon esprit. Ça n’aide pas tellement à créer, mais cela permet de s’évader mentalement. Vous savez, si vous fermez les yeux, vous pouvez être n’importe où. Et quand vous les ouvrez, se promener dans Paris vous rend meilleur. C’est une ville très proche de son histoire, il y a une beauté de la tradition, en quelque sorte. Le Texas est aussi un endroit merveilleux, j’aime y vivre, mais tout y est trop intense.

Intense dans quel terme ?

Et bien graphiquement, c’est un endroit très plat, il y a beaucoup de prairies, le ciel vous engloutit complètement et les températures atteignent généralement les 40 degrés. Et là où je vis (ndlr : près de Denton), cette intensité est continue. Les choses deviennent jaunes sous l’effet du soleil. Des présences, des choses mortes flottent dans l’air constamment. C’est magnifiquement intense, mais ça ne s’arrête jamais. Si vous voyagez un peu et que certaines choses sortent de votre esprit, c’est dur de revenir. Cela fait plus d’un an que je n’y suis pas retourné. C’est cyclique : j’y reste deux ans puis je repars pour deux autres années, et ainsi de suite. Les six dernières années ont été ainsi. J’essaye de suivre les voies, suivre le « spirit ». Accompagné de ma guitare, je donne des concerts qui me mènent jusqu’à la prochaine ville. Pour 50 dollars par-ci, 50 dollars par-là…

2001 fut une année très spéciale pour la scène musicale texane. En plein contexte du 11 septembre, des groupes ont émergé, dotés d’un lyrisme singulier : And You Will Know Us By The Trail Of Dead, Explosions in the Sky et Lift to Experience… Vous aviez un souffle identique en commun. Comment expliquer cette dimension épique qui vous caractérisait tous les trois ?

Trail Of Dead étaient les meilleurs d’entre nous. Ils sont aussi d’Austin. Nous avons donné quelques concerts ensemble au Texas. Nous étions tous fans les uns des autres. Ils venaient à nos concerts, puis on allait les voir à notre tour. Au début, il y avait cinq personnes dans le public. On se soutenait mutuellement, on leur disait de continuer. Et puis nous avons été les premiers à avoir du succès ici en France, les Etats-Unis se sont intéressés à nous ensuite. Simon Raymonde nous a signés sur son label Bella Union, et je lui en serai toujours reconnaissant. Il y avait une vraie solidarité entre nous.

Tous ces groupes du Texas avaient une énergie particulière.

Oui, le Texas, ce sont des grands espaces, plats, où il fait très chaud. Cette énergie vous rend fou. A l’origine, les gens se devaient d’être comme ça, un peu fous. Cette terre libre a été donnée aux Espagnols, des gens qui venaient de très loin. Ce qui explique cela.

Je vous ai vu il y a quelques années à la Flèche d’or, seul avec une guitare folk et un vieil ampli électrique. Vous étiez métamorphosé en folksinger.

Oui, c’était en novembre 2005, je donnais un concert avec des filles suédoises pour une sorte de session. C’est une bonne salle. Je tapais très fort avec mes bottes sur le plancher pour donner le rythme.

A ce moment, la discussion prend une tournure plus personnelle. Manifestement curieux, il me demande ce que je fais dans la vie, si j’aime Paris… Et puis nous revenons à Lift To Experience…

Je suis sincèrement heureux que vous ayez été présent à ce concert de Lift To Experience.

Ce concert fut un choc.

J’espère que ce fut un bon choc.

The Texas Jerusalem Crossroads suscite un culte fervent ; je lis régulièrement des chroniques élogieuses à son sujet.

C’était un bon album. Nous nous sommes séparés avant que les choses ne deviennent plus sérieuses. Si nous avions eu une année supplémentaire pour pousser le groupe… (silence) Nous n’avons pas réussi à atteindre le second palier, enregistrer un second album, continuer à faire de la musique. Les choses ont pris une direction différente.

Vous ne semblez pas blasé de parler de ce disque, dix ans après.

C’est toujours un vrai plaisir que de parler de ce groupe. C’est peut-être parce que c’est le seul album que j’ai enregistré. C’était toute ma vie à l’époque.

Jouez-vous toujours de la guitare électrique ?

Lorsque je suis au Texas, oui.

Seulement au Texas ?

Oui, c’est une question pratique. Quand je suis sur la route, c’est plus facile de me déplacer avec ma guitare acoustique qu’avec un ampli et une guitare électrique. Mais je n’arrête jamais d’écrire et de jouer. C’est impossible pour moi d’arrêter. J’ai sorti un DVD (ndlr : d’un concert donné à la Main-d’oeuvre) que je vendais à mes concerts, je n’en ai parlé à personne, sans promo. Mais ma performance n’y était pas très bonne.

Vous ne semblez jamais satisfait, c’est peut-être votre problème.

C’est vrai, c’est un des problèmes, je ne suis jamais satisfait. Ce n’est jamais assez bon, je cherche la chanson parfaite ! Ce n’est pas un défaut, mais ca rend les choses plus difficiles. Il faut attendre, être patient. C’est quelque chose de très ténu.

Les cinq disques favoris de Josh Pearson :

Beach BoysPet Sounds

My Bloody ValentineLoveless

Neutral Milk HotelAeroplane over the sea

Lift To ExperienceThe Texas to Jerusalem Crossroads

AbbaGold Hits

West Country Night Session en vidéo (filmé par Renaud de Foville du Cargo) :

– Page Myspace West Country Night Sessions

– Page Myspace de Josh T. Pearson

Remerciements à Morgan Cugerone (lecargo.org) pour la photographie

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