Au commencement, il y a la quiétude, la légèreté dans une nuit limpide, noire, qui s’estompe. Cette nuit, mélange de songe et de circonstance, est celle du poète anglais et jésuite Gerard Manley Hopkins quand il rédige, à la mémoire des cinq religieuses franciscaines en exil, noyées dans le naufrage survenu durant l’hiver 1875, The Wreck of the Deutschland ; poème dont le rythme assené et l’écriture discontinue inspire le musicien Philip Jeck pour son An Ark For The Listener. Le titre de l’album renvoie à un passage du verset 33 qui décrit la main divine, omniprésente et salvatrice, « dont la merci chevauche la somme des eaux » ; un moment du poème où les louanges font entrevoir la possibilité de rédemption, la lumière dans le noir absolu, une « arche pour qui écoute ». Le musicien, quant à lui, décèle dans ces vers un point de départ pour le travail compositionnel, au point d’en dégager une sorte de récit voilé et souterrain, discernable à travers les morceaux par un jeu de variation intensionnelle. Les sonorités désormais familières utilisées par Jeck, comme celles de vieilles platines de disques vinyles (la marqué fétiche Fidelity record-player), sont ici particulièrement efficaces, aussi bien pour élaborer des plans évolutifs que pour susciter l’attente. Si An Ark For The Listener apparaît moins homogène que Sand, il ne constitue pas pour autant une expérience décousue ou inconsistante. De la même manière que l’installation de l’artiste polonais Miroslaw Barka, qui apparaît sur la pochette, il nous met face à un choix : avancer et accepter d’être submergé par le noir ou de demeurer sur le seuil.
– Le site officiel de Philip Jeck
– Un court film sur l’artiste polonais Miroslaw Barka (Tate Channel)
– A écouter : “The All of Water”