Si Matt Fishbeck ne vient pas à nous, nous irons jusqu’à lui. N’écoutant que notre instinct,
nous disant qu’il se passe décidément quelque chose d’immanquable de ce côté-là de l’Atlantique, nous avons proposé au leader du groupe Holy Shit de nous accorder un entretien « mailé ». Ce à quoi il a, bien volontiers, répondu.


Initiateur et gardien du petit paradis secret qu’est Holy Shit, Matt Fishbeck a fait la route un moment en compagnie d’Ariel Pink, sur l’album Stranded At Two Harbors, sorti en 2006 — un disque écrit à quatre mains, qui voyait le goût pour les orfèvres pop de l’un tempérer les visions iconoclastes de l’autre — avant d’avancer aujourd’hui seul et serein sur son propre chemin.
Et parce que si vous ne connaissiez pas Holy Shit, vous manqueriez forcément un élément du puzzle, nous
vous proposons de suivre cette correspondance à distance avec le Californien, évoquant ici la genèse et l’avenir d’un groupe qui a vocation, un jour ou l’autre, à briller en pleine lumière. Et si, par malheur cela ne devait jamais être le cas, nous tenterions par tous les moyens de réparer cette injustice, convaincus que des oeuvres aussi belles ne peuvent être plus longtemps criminellement passées sous silence.

Pinkushion : Comment et quand as-tu formé Holy Shit?

Matt Fishbeck : C’était il y a longtemps. En fait, juste après le 11 septembre 2001. The Push Kings (Ndlr:
un ancien groupe de Matt Fishbeck)
venait juste de se séparer (à vrai dire, il m’avait plutôt foutu dehors), à
la suite d’une longue tournée aux États-Unis. Un mois plus tard, j’étais dans la maison d’un ami — celle de
Brandt Larson — en train de fabriquer une mixtape. C’est une grande maison, avec beaucoup de pièces et de
nombreux disques éparpillés dans chacune d’elles. J’étais dans une chambre abandonnée à l’étage, occupé
à fabriquer une compile de titres très « bubblegum », quand Brandt entra, me prévenant qu’un ami à lui venait
d’arriver et me demandant si ça ne me posait pas de problème. J’étais contrarié car je ne voulais pas être
dérangé (j’aimais que la maison soit pour nous seuls), et j’étais plus particulièrement agacé depuis que Brandt m’avait dit que ce type était déjà en chemin. Alors qu’est ce que ça pouvait bien faire ? Peu importe, une demi heure plus tard, ce gamin frappait à la porte de ma chambre, entrait, et se présentait à moi comme étant Ariel. Je l’ai regardé, ai enlevé les écouteurs de mes oreilles et lui ai demandé d’aller au magasin m’acheter quelques bières. Je ne lui ai même pas donné d’argent, mais il y est allé quand même!
Et nous sommes resté ensuite là toute la nuit, lui me faisant écouter quelques unes de ses cassettes. Au matin,
nous décidions de former un groupe. Le soleil était déjà levé sur le jour suivant et nous choisissions de nous
appeler Holy Shit. Nous avons enregistré à ce moment là notre première chanson : « The Notice ».

Comment était-ce lorsque que tu travaillais avec Ariel (Pink). Pourquoi as-tu décidé de t’associer à
lui ?

Je voulais faire se rejoindre son approche
chaotique de la musique et la pop excessivement bien agencée qui m’avait été inculquée au sein des Push
Kings. J’imaginais que ça pouvait être bénéfique pour nous deux. Bon pour mon esprit et le sien. Et ça a
marché ! D’une manière très saine, il m’a aidé à désapprendre toutes les leçons qui m’avaient induit en
erreur et que j’avais assimilées au sein des Push Kings tout au long des sept années où j’étais resté avec
eux. Que tout commence (et finis probablement) avec le « home recording », tout y est absolument permis. Et
que si tu peines sur quelque chose très longtemps et bien, à la fin, ça sonnera… fastidieux.
Au début, nous nous étions donné des règles : pas de vraie batterie et pas de chansons (pré)enregistrées. Juste
appuyer sur le bouton « enregistrer » et voir ce qu’il se passait. Il y avait d’autres règles, mais finalement
ont les a toutes brisées. En premier lieu avec le titre « My Whole Life Story » que j’ai écrit le jour précédant son enregistrement.

Lorsqu’Ariel et Christopher Owens (Girls) ont quitté le groupe, comment as-tu poursuivi avec Holy Shit ?
As-tu invité d’autres personnes à rejoindre le groupe ?

Holy Shit était initialement le nom imparti à tout ce qu’Ariel et moi enregistrions. Mais il avait déjà ses
projets qui commençaient à marcher, avec Haunted Grafitti. C’étaient des projets simultanés pour lui, et pour moi, cependant Holy Shit était vraiment mon bébé — j’ai toujours été à l’initiative des chansons et des paroles.
À cette période, Ariel est devenu tout à coup très occupé et ‘international’ avec Ariel Pink. C’était très
excitant et ça ne m’a pas du tout découragé à poursuivre Holy Shit. Mais une chose était claire : Holy Shit,
c’était avant tout moi même, plus éventuellement des personnes venant s’y greffer. Cette approche a inclus
Christopher un certain temps. Je l’ai rencontré à San-Francisco, où nous sortions le soir tous les deux et le
matin nous allions au karaoké. J’aimais les chansons qu’il choisissait et sa voix. Mais j’aimais surtout la
manière qu’il avait de jouer du tambourin ! Je n’avais jamais entendu personne jouer du tambourin comme
ça. Je voulais le recruter comme batteur pour Holy Shit, mais je ne lui en ai pas parlé avant quelques mois, à
cause de nos règles établies plus tôt, comme quoi nous ne devions pas avoir de batteur… À présent, je vis à San-Francisco et Christopher est très occupé avec Girls.

Actuellement, j’ai un super groupe au complet. Nous avons joué quelques fois et les mecs sont de très bons
musiciens – eux même ont fait partie de différents groupes du coin durant des années. Ça donne un son terriblement adulte, mais Holy Shit capture en réalité des vibrations d’un nouveau groupe qui grandit.

Courtesy of Matt Fishbeck

Lorsque tu as commencé à enregistrer Stranded At Two Harbors avec un 8 pistes, cherchais-tu à
obtenir un son particulier que tu avais peut-être en tête ?

Pas du tout ! Juste l’instinct. Celui d’Ariel et le mien.

Je sais que tu projettes de réaliser de nouvelles sorties prochainement. Peux-tu en dire quelque chose
sur ce que ça sera? Comment ça va sonner ?

C’est un single 12 » qui sortira maintenant au printemps prochain. Il s’intitule « You Made My Dreams Come
True » et ça sortira sur le label Fantasy Trashcan.
Ça sonne très « sex ». Il y a deux faces B additionnelles et tout ce que je peux en dire c’est que ça sonne très
Holy Shit. Il y a un autre single en préparation et ensuite un album à l’horizon.

Est-ce que certains de tes prochains projets sortiront sur ton label Porous Records comme ça a été le
cas pour le single « Rough and Tumble »? Qu’est ce que Porous Records et comment fonctionne-t-il ?

Porous est un nouveau label créé par Patrick Kwon et moi-même. Nous y publions des choses que nous
aimons et pas seulement de la musique. Nous éditons aussi des posters et prévoyons de sortir des enregistrements
de poésie et des écrits. Porous ne prévoie pas de sortir des réalisations de Holy Shit, du moins ce n’est
pas prévu au calendrier. Il existe un site, mais il demande qu’on s’y attarde d’avantage dessus.

Serais-tu intéressé dans le futur pour signer un bon contrat dans une maison de disques ?

Et bien, ça serait mieux que d’en signer un mauvais ! Je voudrais avoir un label typique pour sortir le prochain
album. Les chansons sont là et je les ai fait tourner sans cesse comme des démos. J’ai réalisé qu’elles
requéraient juste un bon studio d’enregistrement et une réalisation soignée. Ces titres sont classiques et
demandent une réalisation appropriée.

Que penses-tu de l’engouement actuel suscité par la scène musicale « indé » de Los Angeles ? Te sens-tu
appartenir à celle-ci ?

Tu veux parler d’Ariel, Nite Jewel, John Maus, Geneva Jacuzzi, des gens comme ça? J’aime ça. Ce sont tous mes amis et ils ont tous joué dans Holy Shit à un moment ou à un autre. Alors bien entendu, je ressens ça
comme une grande famille et je soutiens du fond du coeur leur succès.

Qu’elles étaient tes motivations lorsque tu as commencé à faire de la musique, et avais-tu un but précis ?

J’ai commencé à écrire et à m’enregistrer à la maison lorsque j’avais 15 ans. Maintenant, je cherche
juste à faire de la musique que je voudrais entendre. Je sais que si j’y parviens, l’audience suivra.

Dans une interview, Ariel semblait dire que parfois les gens oublient l’importance de l’expérimentation
dans le processus d’écriture. En quelque sorte il semblait vouloir dire que les erreurs sont souvent
aussi importantes que le résultat final. Prends-tu également en compte tes propres erreurs durant
l’écriture de tes chansons et les utilises-tu dans ta musique ?

Les erreurs sont magiques et sont souvent une « faute » de l’instinct et ceci devrait être respecté — même si
elles ne sont pas utilisées comme telles au final.

Courtesy of Matt Fishbeck

Holy Shit semble être plus influencé par la musique anglaise qu’américaine. Je veux dire par là que
lorsque j’écoute tes chansons cela me fait penser à la « jangle pop », ou aux réalisations de Cherry Red
et Creation Records. Es-tu d’accord avec ça ?

C’est le cas. Tu as raison.

Tu as écris un texte pour Foxtrot Echo Lima Tango (Ndlr: un fanzine consacré à Felt et à Lawrence), peux-tu en dire quelque chose ?

J’ai été un inconditionnel de Felt durant des années et je suppose en quelque sorte que ceci s’est su.
On m’a demandé de participer et je n’ai pas pu refuser. Anh Do, une amie de longue date, a relayé l’invitation jusqu’à moi et nous avons tous les deux décidé d’apporter notre contribution. Notre approche était vraiment influencée par l’esprit et les traditions des fanzines que nous lisions lorsque nous étions plus jeunes comme Are you scared to get happy?, Amish Ways, Feel good all over — des choses oubliées. Je devrais ajouter ici que je suis venu grâce à ma chère amie Hedi qui me l’a fait découvrir, à un fanzine édité par Paul Quinn (Bourgie Bourgie), datant du début des années 90 et qui est absolument parfait. Je l’avais toujours connu de manière digitale, mais je voudrais le réimprimer un jour avec Porous.

Maintenant jouons à un petit jeu! Si Foxtrot Echo Lima Tango signifie « F.E.L.T » que dirais tu concernant
H.O.L.Y S.H.I.T ?

Je vais faire ça de manière aléatoire avec un dictionnaire de poche et je promets de ne pas tricher. Merde, le
seul dictionnaire que j’ai trouvé est un dictionnaire Français/ Anglais des éditions Larousse. Ça ne devrait
pas être grave, voyons…
(Ndlr: ici les mots marqués en français le sont par Matt Fishbeck)

Hopital

Ordinaire

Libre

Yacht

Subtil

Hero

Indigence

Texte

Pas si mal!

Comment as-tu été embarqué dans la musique ? As-tu des obsessions musicales ? Es-tu un grand consommateur
de musique ?

J’ai été « embarqué » quand j’avais 8 ans par une baby-sitter qui vivait à côté de chez moi. Elle arrivait portant
un béret, une large ceinture et elle était littéralement recouverte de badges. Je n’avais jamais rien vu de
tel. C’était génial et je le savais. Je lui ai alors demandé qu’est ce qu’ils (les badges) signifiaient et elle m’a répondu « Duran Duran ». Elle m’a alors initié à Duran Duran (qui d’une certaine façon sont de Birmingham, comme Felt), mais aussi, comme tu dis, à des obsessions musicales. J’ai toujours été obsédé par certains
groupes comme New Order, Galaxie 500, Momus, McCarthy et d’autres choses plus secrètes.

Et actuellement quels sont les groupes qui t’intéressent ?

En fait, je tiens un fanzine, mais la première édition est retardée depuis trois ans, ça sortira vers Noël. Il s’appelle Foam Firmament et il contiendra quelques obsessions récentes et de long date comme Mr Wright, Saint Christopher, Nick Nicely, Clay Hips, Simon Turner. Et quelques tout nouveaux groupes qui m’intéressent beaucoup, comme Joe Waine, Fanuelle et un groupe avec lequel nous avons joué la semaine dernière et que j’aime vraiment bien, appelé Melted Toys. Et je suis absolument obsédé par Ariana Reines, qui n’est pas un groupe mais une poète. Je suis une groupie de Ariana Reines. Elle est tout!

Est-ce que tu fais autre chose en dehors de la musique ?

J’écris, je lis, je tourne des vidéos artistiques, et quand je suis à L.A, je surfe.

J’ai une question que nous aimons poser à chaque personne que nous interviewons. Quels sont tes cinq albums préférés?

Voici les premiers qui me viennent à l’esprit. C’est impossible autrement.

The WakeHere Comes Everybody

New OrderTechnique

The Kaleidoscope (UK)Tangerine Dream

FeltForever Breathes The Lonely Word

McCarthyBanking, Violence and the Inner Life Today

– Page Myspace

Site internet

– En écoute : Holy Shit – « The Castle »