Second volet de notre tribune « Figure libre » destinée à donner la plume à des acteurs de la scène culturelle contemporaine. Cette fois, c’est Maxime Chamoux, leader de (Please) don’t Blame Mexico, qui s’y colle.
Notre premier album est sorti il y a deux mois tout juste. J’étais évidemment très impatient de lire et d’entendre les critiques et les réactions qu’il pouvait susciter. Anxieux aussi, car il résume plusieurs années de travail plus ou moins (et de moins en moins d’ailleurs, à ma grande joie) en solitaire. Je crois pouvoir dire sans risquer la complaisance que Concorde a été « bien accueilli » par la critique (notamment par Pinkushion, qui a écrit l’une des plus chroniques les plus intelligentes qu’il m’ait été donné de lire à son sujet). Et c’est évidemment une source de satisfaction énorme pour moi, mon ego et aussi pour tous ceux qui y ont contribué de près ou de loin (musiciens, label Sauvage Records, amis, famille).
Passé cela, j’ai essayé d’être aussi attentif que possible aux réactions négatives (notamment parmi les commentaires Deezer ou Youtube) qui, si l’on met de côté certains accès de gratuité ou de facilité permis par l’anonymat d’internet, ont le mérite de dire parfois frontalement ce que vos proches, par gentillesse, ne vous diront pas – et que vous savez au fond de vous mais que vous ne voulez pas voir. Cela a été assez révélateur. L’écrasante majorité de ces critiques concernait la justesse parfois douteuse de la voix (que j’admets tout à fait) et un mauvais accent anglais, jugé par trop « frenchy » (chose que je concède également sans problème).
Entendons-nous bien : je suis extrêmement fier de cet album et suis prêt à défendre, arguments à l’appui, chacune de ses chansons. Seulement, ces critiques – ne concernant donc qu’une partie de l’exécution – me semblent finalement assez superficielles et assez représentatives du manque d’exigence et d’ambition dont fait preuve – à mon sens – le petit monde de la musique « pop » et « indépendante » en France aujourd’hui.
Si je devais faire la critique de mon propre album à la lumière de ces quelques mois de recul, je dirais que son principal « manque » est, justement, de ne pas renseigner assez sur l’époque, d’être un peu trop « global », trop indéterminé dans ce qu’il dit et ce qu’il évoque. De ne pas prendre suffisamment le risque de la « contextualisation » historique, politique, sociologique, etc. Et que je chante plus juste ou avec un meilleur accent n’aurait, à mon avis, pas changé grand chose à cela.
Comme une immense part de la musique « indé » hexagonale du moment, il ne rend pas assez compte à mes yeux des mutations et évolutions de notre société : une nervosité et une fatigue générale tyrannisée par la « transparence » et abreuvée au newsfeed, une envie à peine inavouée de violence brute, de sexe brut, la quasi-disparition de l’idée de désir, de digestion. La disparition de l’attente, aussi et pourtant, une impression générale… d’attente. De quoi ? Mystère. La réaction plus que l’action. Cette tendance (observable par exemple dans la forme du « commentaire » internet – qu’on regarde par exemple ceux accompagnant le moindre article sur le site de Libé ou autres) ne semble relayée et transcendée par aucune forme artistique, ou en tout cas musicale, actuelle. Des gens comme Booba ou Orelsan par exemple ont au moins eu le mérite d’essayer d’évoquer cette brutalité maussade du contenu sans que le résultat soit franchement à la hauteur ni même novateur, « musicalement » parlant.
Et que dire de « l’indé » – ses artistes populaires ET son public – dont la tendance à se réfugier dans les niches, les clins d’œil et l’auto-référence semblent l’exempter de ce travail d’enquête ? Selon quelle logique, aimer Animal Collective ou Deerhunter, autoriserait à s’enfuir loin de ce qui passe sous notre nez, à refuser de s’y coltiner sérieusement ? Je ne prétends absolument pas faire exception avec (Please) Don’t Blame Mexico, loin de là. J’aimerais juste trouver, à mon échelle, un moyen d’être vraiment relié à l’époque, d’en dire quelque chose qui soit juste. Se frotter à ce que des Gainsbourg, des Rita Mitsouko, des Eric Rochant ou des Houellebecq ont su faire au meilleur de leur carrière : être des rayons-laser populaires chez lesquels la forme est aussi pertinente et édifiante que le fond. Qu’est-ce que proposer une musique pop(ulaire) signifierait exactement, aujourd’hui, en France ? A quoi cela ressemblerait-t-il ? Qu’est-ce qui ferait sa vraie modernité ? Quelle serait sa vraie place dans la société ?
Parfois je me dis qu’arriver à répondre à certaines de ces questions permettrait – qui sait ? – une meilleure compréhension de cette dure et drôle d’époque. D’être moins déprimés et désarçonnés par elle. Rien n’est moins sûr, évidemment ; mais on peut toujours se promettre d’essayer.
– (Please) don’t blame Mexico – Concorde (Sauvage Records)
– Le site de (Please) don’t blame Mexico
– La chronique de Concorde