Entretien avec les franc-tireurs écossais BMX Bandits à l’occasion de leur 25ème anniversaire et de la réédition de deux disques essentiels, issus d’une discographie à la fraicheur quasi virginale.


Si la pop était un pays, celui de Duglas T. Stewart serait probablement une enclave affranchie des us et coutumes de ses voisins dominants, parlant sa propre langue et ne répondant crânement qu’aux lois fixées par elle-même. Plus farouchement épris de liberté que réellement nihiliste, BMX Bandits c’est surtout l’histoire de Duglas, un jeune homme un peu excentrique, frère d’armes des Pastels et autres Vaselines, balloté entre ses idéaux et ses rêves d’infortune, qui a eu le temps de se faire le cuir durant la vingtaine d’années passées à la tête d’un groupe qui n’a bénéficié, tout au long de son existence, que d’un éclairage médiatique en clair-obscur, mais qui, pugnace, a su tenir bon la barre jusqu’à nos jours. C’est pourtant une musique aussi cool que fauchée, qu’il est proposé aujourd’hui aux curieux de (re)découvrir via la réédition jumelée de leurs deux premiers albums, Star Wars et le goguenard C86.

Culte (comprenez aussi forcément resté très confidentiel), ce groupe n’a pourtant jamais cessé d’émettre, depuis son bastion écossais de Glasgow, des messages à la portée restreinte mais pourtant restés parfaitement audibles à une bonne poignée d’adorateurs, Kurt Cobain en tête, qui en avait fait également en son temps l’une de ses marottes favorites. Un groupe exhortant les indésirables du Top 50 à prendre le maquis et entrer en Résistance, peu importe de savoir si celle-ci devait s’illustrer par le fait de devoir prendre les armes ou de se saisir d’une guitare! Indiscipliné et rebelle au jeu de la courtisanerie médiatique, BMX Bandits a toujours œuvré patiemment dans l’ombre, soutenu par un bataillon de fans probablement aussi givrés que son leader, un doux-dingue insolite, à jamais otage de l’enfance. Il faut être un peu frappé, forcément, pour apprécier toujours, aujourd’hui, un groupe tel que BMX Bandits, qui ne répond à aucune mode ni nécessité de l’instant, sinon celle de nous rassurer sur le fait qu’il existe heureusement encore quelques types au langage singulier demeurant à la marge de tout, et échappant de justesse à toute tentative de classification rassurante et obstinée de la part de leurs contemporains.

On saute ainsi sur l’occasion pour interroger par mail Duglas T. Stewart sur le secret d’une telle longévité, pourtant passée dans la quasi-clandestinité.

Pinkushion: Comment l’idée de rééditer les deux premiers albums C86 et Star Wars vous est-elle venue ?

Duglas T. Stewart: Ces deux albums n’étaient plus disponibles depuis un moment et nous pensions que, peut-être, de jeunes fans ou des personnes qui n’auraient jamais connu notre musique à l’époque où elle a été réalisée seraient désireux de la posséder.
Je rencontre toujours aujourd’hui des gens qui me parlent de Star Wars en le citant comme l’un de leurs albums favoris de BMX Bandits. Et puis d’une certaine façon, je crois qu’il y a une connexion assez forte entre Star Wars et nos albums plus récents, en comparaison à ceux par exemple que nous avons sortis sur Creation Records dans les années 1990.

Te rappelles-tu ce que tu cherchais à produire lorsque que vous avez enregistré ces deux albums ?

Il se trouvait que pour nous, plus les choses prenaient une tournure conservatrice, plus chacun de nous essayait d’être « alternatif », tout en faisant les mêmes choses et en suivant les mêmes règles. Je connais même des gens qui s’ingéniaient à sonner bien pires en tant que chanteurs et musiciens, que ce qu’ils étaient en réalité. Cela semblait être un non-sens pour nous. J’aime la vérité d’un son primitif, mais ce n’est pas bon quand les gens font semblant. Nous voulions faire des disques qui étaient musicalement plus ambitieux et plus personnels. C’était le but avec Star Wars notamment, un disque sur lequel je ne crois pas qu’il existe des morceaux qui ressemblent beaucoup à ce que quiconque produisait en 1990. Nous avons enregistré la dernière piste « Serious Drugs » au moment où la musique “indé” se composait surtout de guitares noisy ou encore du cross-over avec l’acid house. La chanson « Serious Drugs » ne sonnait pas comme ça. C’est dommage qu’il ait fallu quelques années supplémentaires ensuite pour la sortir.

Quels sentiments portes-tu sur ces deux albums sortis voilà près de 20 ans ?

Je ne les avais pas écouté depuis un certain temps mais quand je les ai réécoutés à nouveau, je les ai vraiment beaucoup appréciés.

Comment expliques-tu la longévité de la carrière de BMX Bandits au vu du peu d’importance que les médias vous ont jamais accordée ?

Je pense qu’à certains égards, cela a finalement été un avantage que les médias ne nous aient pas accordé beaucoup d’attention, ou soutenus. C’est une sorte de passe-droit pour nous permettre de faire ce que nous voulions faire, en demeurant ainsi hors du système. Bien sûr, la contrepartie signifie également que nous n’avons pas obtenu un grand succès commercial ou gagné beaucoup d’argent, mais nous avons eu un autre type de succès, en étant capables de faire la musique que nous avons souhaité réaliser. Nous avons aussi un public qui semble nous faire confiance et qui est heureux de ne pas nous voir faire simplement des versions différentes du même album encore et encore. Mon ex-femme dit de moi que je suis comme un poisson qui n’a pas choisi de nager. Il nage, car cela fait partie de sa constitution et s’il ne nageait pas, il se noierait. Je n’ai pas le choix de savoir si je continue ou si j’arrête de faire de la musique avec BMX Bandits. Cela fait partie de moi et je crains, comme les poissons, de me noyer si j’essayais d’arrêter.

Pour toi quelle était la signification de fonder un groupe aux influences « sixties » au milieu des années 1980 en Écosse ? Était-ce une manière de survivre ? De résister ?

Je pense que comme beaucoup d’artistes, je n’étais pas satisfait de la réalité de mon existence et j’ai donc entrepris de créer mon propre univers par lequel je pouvais m’échapper. Les gens qui me connaissent depuis l’enfance te diront que j’avais déjà commencé à créer l’univers de Duglas quand j’étais encore à l’école primaire. Bien que j’ai été influencé par la pop des années 60, ces influences ne sont pas exclusives et d’autres choses ont également eu une influence tout aussi puissante sur moi, comme les chansons des films de Walt Disney, les comédies musicales hollywoodiennes, les chansons de Sesame Street, George Gershwin, Ennio Morricone, John Barry, Serge Gainsbourg et beaucoup d’autres choses.

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Tes chansons sonnent souvent comme des comptines qui pourraient être aisément chantées à un enfant. Ne penses-tu pas que cette sorte « d’ingénuité » a été à l’époque mal comprise par beaucoup de gens, considérant peut-être BMX Bandits comme n’étant pas assez « rock n’ roll » en comparaison à d’autres groupes comme Teenage Fanclub ou Primal Scream ? Ne penses-tu pas que beaucoup de monde est passé à côté de l’aspect subversif de ta musique ?

Je n’ai jamais voulu être considéré comme étant quelqu’un de « rock n’roll ». Je ne me sens aucune connexion ou d’affinité pour les stars du rock comme Jim Morrison ou Jimi Hendrix. Je ne « comprends » pas AC / DC ou Led Zeppelin. Je suis sûr qu’ils sont très bons dans ce qu’ils font, mais c’est quelque chose de complètement étranger pour moi. Ce qui est d’ordinaire classé comme « rock » me semble, en règle générale, beaucoup plus conservateur que beaucoup d’autres choses classées comme « pop » et qui seraient rejetées par les puristes rock. Donnez moi les Shangri-Las plutôt que Led Zeppelin ou The Doors. Je suis l’anti-Jim Morrison. Je sais que les membres du Teenage Fanclub utilisent des guitares et avaient pour habitude de porter les cheveux longs, mais il y a dans leurs chansons tellement plus d’humour, de chaleur et de cœur. Et je pense que Norman (Ndlr Norman Blake) a écrit quelques-unes des plus belles mélodies qui existent. Pour moi, Norman est quelqu’un qui a une lumière dorée qui brille à travers son âme. Il n’est pas comme une rock star, il est bien plus merveilleux et unique que cela.

Malgré le fait que vous n’apparaissiez pas sur la compile C86 éditée à l’époque par le NME, vous avez décidez de nommer votre album paru en 1989 « C86 ». Était-ce alors comme une sorte de provocation ? Une manière de protester ?

Ce titre était un petit acte de défiance. C’était nous, disant « fuck » au système, le système étant le NME (l’ennemi). Ils ne voulaient pas nous laisser entrer dans leur club et nous n’avons jamais ressenti le besoin d’être dans leurs bonnes grâces pour être autorisés à en faire partie.

En 1986 tu as réalisé un album solo intitulé « Duglas Stewart’s Frankenstein ». Considères-tu ta propre musique comme une sorte de créature de Frankenstein ? Des sortes de bizarreries pop pas forcément bien calibrées pour devenir des hits ?

Je n’envisage pas vraiment la musique comme étant un monstre que j’aurais fabriqué à partir de morceaux de cadavres de titres existant auparavant, même si je pense que la métaphore fonctionne. En réalité, c’était à moi que je pensais, tel un monstre que j’avais créé et à propos duquel j’avais des sentiments mitigés. Je suis peut-être le fan numéro un de BMX Bandits, mais cela reste contrebalancé par beaucoup de haine de soi.

Quelle est ton sentiment à propos des nouveaux groupes comme The Pains Of Being Pure At Heart ou Vivian Girls, qui considèrent la scène musicale de Glasgow – dont tu as fait partie- comme une de leurs influences majeures ?

Je ne sais pas s’ils sont fans de BMX Bandits. Je sais qu’ils aiment les Pastels, The Vaselines et Teenage Fanclub. Je n’ai pas vraiment entendu les Vivian Girls, mais je suis allé voir The Pains of Being Pure At Heart à Glasgow et j’ai beaucoup aimé leur show. Je les ai trouvé très charmants et leur manière de jouer très joyeuse. Ils ont mentionné tous ces groupes de Glasgow qu’ils aimaient, mais aucune des personnes appartenant à ces groupes n’était présente et je me suis senti un peu peiné de voir que la seule « pop star » de Glasgow de cette époque présente ce jour-là, c’était moi, le gars d’un groupe dont ils n’étaient pas si fan ou qu’ils ne connaissaient peut-être pas.

As-tu été contacté pour participer au film « Upside Down: The Creation Records Story » ? Tu es un membre « historique » de la grande époque du label. Quels sentiments en gardes-tu après toutes ces années ?

Oui, je suis dans le film. J’ai de très bons souvenirs de notre époque sur le label Creation. Quand Alan McGee nous a demandé d’être sur Creation, personne ne voulait de BMX Bandits et je suis toujours senti très reconnaissant pour tout le soutien qu’il nous a apporté. Je ne me suis jamais vraiment senti à l’aise avec le fait de prendre des drogues ou avec les comportements hédonistes avec lesquels le label était associé à l’époque, mais Creation a été un peu comme un refuge pour les outsiders comme Ivor Cutler, Momus et nous.

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Peux-tu nous en dire un peu plus sur le film « Serious Drugs » qui s’attache à retracer la carrière de BMX Bandits ?

Je suis très heureux que quelqu’un ait décidé de faire un film sur BMX Bandits. Avec nombreuses personnes impliquées dans BMX Bandits, aujourd’hui ou par le passé, nous avons été heureux de contribuer autant que nous le pouvions pour aider Jim Burns (le réalisateur) à réaliser ce film. Mais nous ne sommes pas intervenus sur le script et je pense que c’est ainsi que les choses doivent être.
Selon moi, il ne s’agira pas de l’histoire de BMX Bandits telle qu’elle est, mais plutôt du film de Jim et je suis très honoré qu’il ait donné tant de son temps, d’amour et d’argent pour faire un film sur le groupe. Je suis excité de le voir en décembre. Je sais qu’il fait intervenir aussi beaucoup d’autres participants intéressants, des images de live de bonne qualité et qu’ils ont dégotté beaucoup d’images d’archives.

Quel rôle en tant que musicien joues-tu sur la scène musicale de Glasgow ? Es-tu toujours attentif aux nouveaux groupes ?

Il m’est difficile de répondre à la première partie de la question. Je pense qu’il y’ a une chance pour que je sois considéré comme une référence dans beaucoup d’anecdotes chez les autres.
Oui, je prête encore attention aux nouveaux groupes et je fais même preuve d’évangélisation concernant les nouveaux musiciens qui me plaisent. J’ai toujours souhaité faire passer mon enthousiasme à propos des choses que j’aime. Je me souviens quand Belle & Sebastian était un nouveau groupe, avant même la sortie de Tigermilk, mon ami Jason m’avait fait écouter les premiers titres de Stuart (Murdoch) enregistrés avec Belle & Sebastian. Je les avais alors envoyé à Alan McGee et beaucoup d’autres gens que je connaissais, envoyant des lettres à de nombreuses personnes susceptibles d’écouter et d’apprécier leur musique. Malheureusement, la plupart des gens n’étaient pas très disposés à les écouter à ce moment-là. J’aime les nouveaux groupes en provenance d’Écosse, comme Randolph’s Leap, Adam Stearns, Hidden Masters et une chanteuse appelée Panda Kantana. Je pense que ces gens sont aussi bons que tous les groupes qui les ont précédé et la pensée d’écouter leurs disques rend le monde un peu plus magique.

Que dirais-tu à une nouvelle personne qui s’intéresserait aujourd’hui à ton groupe et chercherait à le découvrir ?

Je crois que David a dit un jour quelque chose du style : pour pouvoir être un membre de BMX Bandits il faut être prêt à être ridiculisé et jugé comme fou. Je pense que c’est probablement vrai. Pour jouer la musique de BMX Bandits, je pense que vous devez ouvrir votre cœur à la beauté et au romantisme.

Bientôt vous allez vous produire au festival Primavera Sound (le 29 mai). Cette date de concert sera-t-elle la seule ?

Nous sommes très excités à l’idée de ce show. Nous n’avons pas souvent l’opportunité de nous produire. Je suis très impatient de voir les autres groupes comme Half Japanese, Suicide et un de mes tous nouveaux groupes favoris: Tennis.
Nous jouons également lors d’un festival appelé « Doune the Rabbit Hole » qui se tient au début du mois de juin en Écosse avec The Vaselines, Nick Garrie et bien d’autres.

Allez-vous réaliser de nouvelles choses prochainement ?

Nous sommes actuellement en train d’enregistrer notre prochain album BMX Bandits in Space.

Qu’est ce qui te motive toujours aujourd’hui pour continuer à faire de la musique ?

Je continue parce que je veux faire exister cette musique, l’entendre et partager quelque chose de moi avec les autres.

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A écouter: « Your Class » (issu de C86)