Une évocation du plus dandy des jeunes gens modernes, récemment célébré dans les bacs et sur les étagères.


Punk éclectique, rigoriste électronique, conteur ironique… L’orfèvre mélodique Denis Quilliard, alias Jacno, a multiplié les identités musicales sans se soucier des étiquettes ; plus vite que la consumation des cibiches qu’il affectionnait tant, celles ornées d’un casque gaulois dont l’auteur a inspiré son nom de scène. Disparu un mauvais jour d’automne 2009 par la faute d’un crabe vorace, il laisse une œuvre pop kaléidoscopique, tout récemment saluée par un album tribute, Jacno Future, et un beau livre, Jacno l’Amoureux Solitaire. L’occasion d’opérer un retour sur le parcours et les détours d’un dandy pop…

La dernière oeuvre du sieur et presque testament, Tant de Temps (2006), donne peu d’indices sur ses premières heures. En 1976, la vingtaine à peine entamée, c’est armé d’une Rickenbacker qu’il fonde les Stinky Toys, fers de lance de la première vague du punk français. La légende veut que l’artiste ait demandé à être payé par sa maison de disques en… bouteilles de Valstar… Jacno laisse le devant de la scène à une furie gracile, également sa compagne dans le civil : Elli. Repéré et apprécié par Malcolm McLaren, le groupe jouera au mythique festival punk du 100 Club et aura droit à la couverture du Melody Maker. Bijou et Starshooter n’auront pas les mêmes honneurs. Malheureusement, les deux albums du combo, énergiques mais parfois approximatifs, ne rencontreront pas le succès commercial, forçant Jacno à ranger la boîte à jouets.

Les Stinky Toys (Photo:DR)

Virage à 180 degrés en 1979, son premier album solo, au titre éponyme, rend compte de sa rencontre avec les machines. D’une précision chirurgicale, Jacno s’y révèle en tant que tisserand de textures aussi entêtantes qu’envoûtantes. Avec, à la clé, l’étonnant succès du titre instrumental “Rectangle”. La mélodie de ce dernier illustrera même, pendant une décennie et sous différentes coutures, les réclames pour une célèbre poudre… chocolatée! Le seul titre chanté de l’opus, le mélancolique “Anne Cherchait l’Amour”, préfigure les années à venir…

Car après avoir fait don à Lio de son “Amoureux Solitaires” et en parallèle à des débuts de producteur (pour Etienne Daho, sur Mythomane), Jacno retrouve Elli, pour deux albums et la bande originale du film culte d’Eric Rohmer, Les Nuits de la Pleine Lune. Les motifs minimaux du premier épousent la voix faussement candide de la seconde, donnant naissance à d’habiles fausses bluettes synthétiques. Nourries d’ironie, leurs ritournelles ciselées font alterner insouciance toute adolescente (“Main dans la Main”), amours frénétiques (“Je t’aime Tant”) et gravité déguisée (“L’Age Atomique”).

Elli & Jacno (Photo: DR)

Les chemins se séparent à nouveau au mitan des années quatre-vingt. Tandis qu’ Elli, désormais nantie de son nom, Medeiros, tutoie les sommets du Top 50 avec l’agaçant « Toi, mon Toit », Jacno creuse, de sa cigarette, un sillon original plus en retrait, oscillant entre productions personnelles et pour les autres.

Il donnera ainsi de la voix sur six albums, évoluant vers un parlé-chanté gouailleur et canaille, éloigné des stridences et des ondes autrefois développées. Il œuvrera aussi en coulisse, sans sectarisme aucun, pour des artistes aussi divers que Jacques Higelin (Tombé du Ciel), Daniel Darc (Sous Influence Divine) ou encore Les Valentins (“J’ai Triste”), et se montrera même devant la caméra (L’Auberge Espagnole; Variété Française). Un syncrétisme singulier et inédit, entre Johnny Rotten et Jacques Dutronc

Jacno en 2006 (Photo: Baltel / Sipa)

Jacno méritait que ses compagnons de route et ses héritiers s’unissent pour un hommage discographique. C’est chose faite avec Jacno Future, revisitant avec humilité les différentes périodes de l’artiste. Il revient à Dominique A d’ouvrir le bal, par une version dépouillée et syncopée de « Je t’aime Tant ». Benjamin Biolay retrouve Chiara Mastroianni pour un « D’une Rive à l’Autre » intimiste, avant de laisser la fantasque Brigitte Fontaine réciter, avec solennité « Je Vous Salue Marie ». Katerine fait… du Katerine sur « Rectangle », aux résonances folk, Higelin excelle sur « Mauvaise Humeur », tandis que Christophe hypnotise avec « Je Viens d’Ailleurs ». Etienne Daho et Calypso, fille de Jacno et d’Elli, livrent un « Amoureux Solitaires » électronique et frénétique, pendant que les Coming Soon se démènent sur « For You ». On retiendra aussi la relecture épurée par les Valentins de leur titre
« J’ai Triste », avec Miossec, et l’entente communicative d’Alex Beaupain et Frédéric Lo sur l’un des plus beaux titres de Jacno, « Tes Grands Yeux Bleus ».

Jacno Future (Universal / Polydor)

Bon nombre d’entre eux se sont retrouvés le 30 juin dernier sur la scène de la Cité de la Musique à Paris, dans le cadre du festival Days Off, afin de prolonger leur enregistrement par une unique célébration. Sous la férule du complice Jean-Charles de Castelbajac, auteur du portrait faisant office de pochette pour le disque et visiblement très ému, les différentes générations réunies ont ainsi redonné vie aux différentes facettes d’un artiste exigeant et jamais en mal d’une facétie.

L’hommage se poursuit en librairie avec, dans une veine similaire, le très bel ouvrage de Stéphane Loisy, Pierre Mikaïloff (ancien guitariste des Desaxés) et Jean-Eric Perrin, Jacno l’Amoureux Solitaire (Editions Didier Carpentier). Le trio y brosse un portrait fouillé et amical de l’artiste, gorgé de témoignages savoureux et avec le concours d’une iconographie aussi riche que soignée. A la hauteur de cet éternel jeune homme moderne, aussi à l’aise dans l’ombre que sous les lumières…

STINKY TOYS – First album (réédité chez Polydor en mai 2010)

STINKY TOYS – Plastic Faces (réédité chez Polydor en janvier 2011)

ELLI & JACNO – Tout va sauter (réédité chez Polydor en janvier 2011)

JACNO – S/T (réédité chez Celluloid Records en mai 2011)

Jacno Future – VS (Universal / Polydor)

A lire : Jacno l’Amoureux Solitaire (Editions Didier Carpentier).
A écouter / voir:

Stinky Toys – « Birthday Party »

Jacno – « Rectangle »

Elli & Jacno – « Je t’aime tant »

Jacno – « Tes Grands Yeux Bleus »

Etienne Daho – « Amoureux Solitaires » (Jacno Future)

Jacno Future à la Cité de la Musique, « Festival Days Off »