Un membre de Grizzly Bear propose une électro à visage humain. CANT, ou la critique de la (trop) pure raison.
Chris Taylor est membre de Grizzly Bear. Multi-instrumentiste, compositeur et chanteur, il a également produit les deux derniers albums du groupe, les célébrés Yellow House et Veckatimest. Il a été producteur ou co-producteur des albums de Department of Eagles (In Ear Park), Dirty Projectors (Rise Above), The Morning Benders (Big Echo ) et s’est aussi chargé du travail de restauration du Love is Overtaking Me d’Arthur Russell. Avec le dénommé Ethan Silverman, Il a en outre fondé le label Terrible, sur lequel ont été notamment publiés le premier EP de Class Actress (Journal of Ardency) et l’album Forget de Twin Shadow. C’est d’ailleurs avec l’homme seul et moustachu de Twin Shadow, George Lewis Jr., que l’insatiable Taylor a conçu le projet personnel qui nous intéresse ici. CANT serait donc un dispositif à faire transpirer les machines et, comme l’annonce le titre de l’album, à rendre les rêves réels.
“Too Late, Too Far” s’ouvre sur des percussions tribales (Taylor a également participé au Return to Cookie Mountain de TV on the Radio !), une jungle synthétique peuplée de fauves automates. La voix de Chris et les ambiances déployées peuvent renvoyer l’image d’un Peter Gabriel non agité. Le titre suivant, “Believe”, est une belle réussite atmosphérique au rythme ralenti par une brume mélancolique. Ralenti mais pas figé. Tout comme “The Edge”, morceau aussi accrocheur lâché sur un dance floor marécageux. La musique de CANT apparaît comme engourdie et subtilement détaillée, comme dans “Bang”, qui flotte dans les airs en position allongée. Mais la fin de “Bang” fait plouf, il ne se passe rien et le morceau s’éteint.
L’intermède au piano “Brokencollar” est posé comme un point de suspension et la délicate introduction de “She Found a Way Out” ne laisse pas deviner ce qui va suivre. Taylor met du plomb dans ses machines. Le sol se met à bouger tandis que l’inquiétude gagne (“Answer”), la voix se fait effrayante alors que les bidouillages sont pris de fièvre (“Dreams Come True”). Entre échos et saturations, la tête dans la cuvette, CANT a mal digéré ses céréales kraut. Tout ceci semble un peu vain, trop réfléchi et manquant d’intensité pour libérer le climax camé et hypnotique de sa musique.
Le paradoxe de CANT apparaît pleinement au sein de “Rises Silent” et “Bericht” : des intuitions mélodiques ascensionnelles alourdies par une certaine rigidité cérébrale. Machines humaines à chairs tristes. Comme si Chris Taylor avait trop organisé l’occupation de l’espace au détriment de l’émotion spontanée. Une réserve qui ne saurait gommer les belles intentions de l’auteur, concrétisées par intermittences.