Même en assumant l’ambition un peu gênante de fédérer large, le duo d’Akron reste maître lorsqu’il s’agit de répandre le cambouis sur des mélodies aguicheuses. Plus qu’une signature, une tâche indélébile.


La question n’a plus vraiment cours, mais beaucoup se la sont posée à l’époque… Le destin de The Black Keys aurait-il été d’emblée plus facile si leur trogne était celle de musiciens bouseux sortis de champs de coton ? Presque dix ans en arrière, face au look ambulance en feu des rivaux White Stripes, le van de tournée rouillé du duo blues-punk d’Akron (ici immortalisé en couverture de l’album), ne faisait clairement pas le poids.
Depuis, la clinquante panoplie rouge et blanche de Jack White et sa sœur prend la poussière au placard, tandis que le noir indémodable a une fois de plus prouvé qu’il est impossible de l’écailler. Moins spectaculaires avec leur dégaine inoffensive de gentils fouineurs de bacs vinyles, le tandem indéfectible Dan Auerbach (guitare/chant) et Pat Carney (batterie) a sagement laissé venir son heure de gloire – ne s’y attendant même, pour tout dire, probablement pas…

Rétrospectivement, « El Camino » – le « chemin » du succès –  fut long, parsemé de hauts de bas, mais ô combien formateur. Cette longévité devenue leur nerf de guerre, est sans nul doute la plus grande fierté auquel peut aspirer tout musicien. Les six albums des natifs d’Akron – aujourd’hui citoyens de Nashville – ne sont pas exempts de défauts, mais chaque enregistrement est parvenu à transcender leur formule « binôme artisanal », tout en conservant la passion du grain de leurs vieux 33 tours bluegrass.

Et puis, en 2010, le coup d’accélérateur qui mène à reconsider sérieusement le cas The Black Keys : Brothers. Réinventés, nous les retrouvions magnétiques sur un disque perfusé d’un groove insidieux, ouaté d’un son furieusement rond et chaud. Oui, The Black Keys avait compris le sens du groove incendiaire. Le déclic le plus significatif, le chant d’Auerbach, comme libéré, mouillait enfin la chemise avec l’intensité d’un Al Green. On avait déjà remarqué ses inflexions soul sur son album solo Keep it Hid (2010), une émancipation parfaitement négociée qui prend des tournures de plus en plus intéressantes.

Après avoir laissé filer le temps, l’heure semble désormais à l’action sur ce septième opus. Délibérément plus rentre-dedans que son prédécesseur, El Camino ne cache pas sa ferme intention d’enfoncer le clou. Le fer rock bat à nouveau, les amplis à lampes se sont remis à chauffer et on sent la paire bien décidée a enregistrer l’album qui mettra à genoux tout le monde. L’apport du troisième homme, le producteur Danger Mouse, désormais partie prenante dans le processus d’écriture collectif, a certainement contribué à rendre les compositions plus pop, redoutablement calibrées sur des tempos dansant. À tel point que l’ensemble prend des allures de best of improbable par la variété de ses arrangements et de ses refrains aguicheurs – l’énergie Muscle Shoals par ci, un tempo disco enlevé par là, une ballade soul-folk qui vire électrique ( « Little Black Submarines ») …  

Mais… il y a tout de même un prix à payer pour frapper si fort et droit au but : la durée de vie d’El Camino en souffre. L’intérêt se consume peut-être trop vite, à l’inverse de Brothers, prodigieux diesel qui continue de tenir la distance. Ceci considéré, les détenteurs des « clés noires » sont suffisamment doués et érudits pour pour ne pas tomber dans des ficelles vues et revues. Alors on se dit peu importe si la flamme brûle trop vite, suçons jusqu’à la moelle cette fulgurante brochette d’instantanés binaires bien balancés que sont « Run Right Back », « Gold on The Ceiling », « Money Maker » et puis ce tardif mais bienvenu « Lonely Boy », single écrasant d’universalité, succès annoncé qui les snobait cruellement jusqu’ici. El Camino fait le plein de tubes.

« Gold on The Ceiling », chez David Letterman :