Après une résurrection réussie en 2009, Swans poursuit sa quête mystique et chaotique avec un nouveau coup de maître, le double et titanesque The Seer.


30 ans que les new yorkais Swans, pilotés par le sorcier Michael Gira (Angels of Light), souillent avec grâce nos candides oreilles. Le groupe a traversé différentes époques et esthétiques (la no wave, l’indus, le post-punk, le rock gothique et expérimental, le folk et j’en passe…) tout en préservant une identité toute singulière. Inactif pendant douze ans, Swans a resurgit en 2009 avec un album salué quasi unanimement (My father will guide me up a rope to the sky), n’a cessé de tourner et s’est replongé dans la fabrication d’un nouvel opus aux ambitions renouvelées. Enregistré à Berlin et à New York grâce aux recettes du double live We Rose From Your Bed With The Sun In Our Head, The Seer se présente comme un double disque dont chacune des 120 minutes vibre d’une égale intensité.

Lente, ténébreuse, et incantatoire, la musique de Swans ne ressemble à aucune autre. Sur ce treizième opus, on entend des guitares plaintives et des rythmes fracassés, mais aussi des cloches, de l’accordéon, de la cornemuse, du dulcimer et divers bruits industriels. Chaque pièce repose sur des motifs simples et répétitifs, agencés avec une grande minutie. On y entre comme dans une transe et on en ressort pantelant. L’épopée démarre sur le tragique et choral « Lunacy », puis l’entêtant « Mother of the world ». L’attente et l’angoisse règnent sur le morceau titre de l’album, « The Seer », épopée sonique de plus de trente minutes, où se succèdent crescendos, martelages et explosions. L’hypnose nous gagne. Puis l’on se réveille avec le sournois « The Seer Returns » et ses chÅ“urs hallucinés. Furies bruitistes, plages mystiques et folk hanté peuplent le reste d’un disque qui forme une synthèse quasi parfaite de la carrière du groupe.

The Seer ne contrevient pas aux éternelles obsessions de Gira. L’extrême et le grotesque y sont explorés sous de multiples coutures (tempo, durée, intensité), le sacré et l’impur s’entrechoquent copieusement. Extatique et barbare, la musique de Swans est surtout viscérale. Belle, sombre, et surtout primale comme le cri du même nom. Le groupe utilise toutes les possibilités d’instruments à priori classiques et n’a que faire des effets et gadgets électroniques.

La liste des participants sur The Seer est impressionnante : outre les partenaires historiques (Norman Westberg, Phil Puleo, Thor Harris, Christopher Pravdica, etc.), d’autres voix sont conviées. Celles de Mimi Parker et Alan Sparhawk (Low) sur « Lunacy », celle plus surprenante de Karen O des Yeah Yeah Yeahs sur la ballade « Song for a Warrior ». Avec le retour de la chanteuse Jarboe, et l’appui de musiciens issus de l’avant-garde (Caleb Mulkerin, Colleen Kinsella, Ben Frost, Eszter Balint, etc.), ce double album a des allures de sommet international du rock expérimental. Mais c’est surtout le corps et l’esprit de Michael Gira qui imprègnent et règnent sur tout l’album, avec son chant malade et sa direction à la fois juste et autoritaire.

Si le précédent opus faisait unanimité, ce nouveau disque devrait également ravir l’esprit et les sens. Un format hors cadre (double en CD, triple en vinyle), un titre court et magnétique (« le voyant » en français), une intensité permanente toute au long d’un disque-fleuve. Une Å“uvre exigeante, qui consacre le retour en force et en grâce d’une formation mythique du rock expérimental.

Swans – « Lunacy »