Belle découverte au rayon boisé que le troisième album de ce conteur canadien, hanté de grandes orchestrations et d’espaces irradiés.


À l’écoute de Oh Fortune, les oreilles non averties prendront de plein fouet la richesse de ses arrangements, cousus de fil doré. Avant d’atteindre ce niveau de broderie, Dan Mangan, songwriter de Vancouver inconnu par chez nous (mais cela ne saurait durer), avait déjà délivré deux albums d’obédience « folk » intimiste, un tantinet académique. Oh Fortune bouscule son petit confort de folksongs confinés, grâce au renfort d’orchestrations ingénieuses, sous l’aile du producteur Colin Stewart (Black Mountain, Cave Singers). Même si la voix puissante et éraillée du folksinger à la barbe hirsute s’impose naturellement pour relayer le passage, on sait ce genre de virage artistique toujours délicat à négocier. Hors, il est clair que le canadien a réussi à tirer sa musique vers des hauteurs insoupçonnées, quitte à carrément crever le plafond.

Aussi est-on frappé par la dimension cinématique de l’œuvre, ce dès les cordes virevoltantes qui nous entrainent dans les bras de la somptueuse valse, « About As Helpful As You Can Be Without Being Any Help At All ». Mangan a le storytelling dans le sang : ses folksongs aux airs de fuites en avant déroulent une atmosphère particulière, mêlant mysticisme ondoyant et horizons sonores au silence inquiétant (guerre et désertion sont ici quelques uns de ses thèmes de prédilection). Les arrangements de cordes et de cuivres sont somptueux, nimbés de détails sophistiqués et particulièrement réussis : des auréoles de guitares shoegazy discrètes, et autres drones subtils dévient le faste des orchestrations vers une fascinante une mise en abîme. L’élégiaque « Starts With Them, Ends With Us », démontre avec quelle aisance Mangan sait nous entraîner dans sa spirale dont il est difficile ensuite de sortir. Autrement plus relevé, le mariage électrique et violons de « Post-War Blues » (hommage à W. Ward? ) prend l’aspiration derrière The National pour les dépasser avec une ferveur lumineuse.

Sans pousser jusqu’au sérieux du concept album, Oh Fortune s’envisage tel un récit à part entière, où chaque chanson amène à un nouveau chapitre, un nouveau tableau mettant en scène les même personnages. On pense à Badly DrawnBoy pour cette proximité du verbe, voire David Gray, à moins que ce ne soit la figure titulaire suprême, Van Morrison. Ce qui en définitive aboutit au même point : raconter des histoires simples avec de la poussière d’étoile.

Dan Mangan – « Rows Of Houses »