Réouverture de l’usine rock Lo-fi de Robert Pollard qui continue de tourner à plein tube, au sens propre comme au figuré. L’énigme reste inexpliquée.


L’erreur à ne surtout pas faire en écoutant un album de Guided By Voices, c’est chercher le sans-faute. À l’heure où les héros Lo-fi de Dayton signent leur grand retour en studio (ou plutôt en garage), l’immense attente du fan fébrile peut tromper son jugement : l’ouvrage sera-t-il digne? Clarifions donc d’emblée : aujourd’hui comme hier et pour le pire comme pour le meilleur, ces outsiders magnifiques demeurent imperturbables. Même si il y a retour aux armes du line up « classique » – soit l’inamovible Robert Pollard et les revenants Tobin Sprout, Greg Demos, Mitch Mitchell et Kevin Fennell -, GDV incarne la cause garage rock, dans le sens noble et bordélique du terme. Tous leurs albums – y compris ceux considérés comme chefs-d’œuvre Bee Thousand et Alien Lanes – sont foutraques et trop longs, mais là repose aussi tout leur charme et leur flamboyance.

Doté d’un cerveau sans cesse en train de turbiner de la mélodie à combustion sonique, Robert Pollard n’a certainement pas le temps – ni l’envie – d’organiser un semblant de direction sur ses disques. Aux auditeurs d’opérer leur filtre personnel et de sélectionner leur lot de pépites power pop. Après tout, chacun y trouve son compte, le poids qualitatif en chansons étant au final supérieure à la concurrence. Et les 21 titres de Let’s Go Eat The Factory n’y font pas exception.

Que faut-il donc attendre d’un nouvel album de Guided By Voices en 2012, le 17e si on a bien compté ? Rien dans le fond, mais tout dans la forme. Exit la production polie de Todd Tobias (sur les ultimes Half Smile of the Decomposed et Earthquake Glue ), Let’s Go Eat the Factory renoue avec le génial brouillon d’Alien Lanes. Bonne nouvelle, le gang a retrouvé le goût pour l’expérimentation et la cacophonie, cela s’entend jusque sur leurs hymnes psychédéliques raclés à coup de sale distorsion. Il faut le dire, lorsque la machine s’emballe, on ne peut trouver perles pop plus exaltantes et authentiques (« Doughnut for a Snowman », les beaux arrangements de « Hang M. Kite », le lacrymal voire « flangerisé » « My Europa »).

Let’s Go Eat the Factory sent bon l’effervescence dans le local du sous-sol, les canettes de bière à profusion, un vieux poster des Who trônant au-dessus de la batterie, des cassettes analogiques tachées de mayonnaise et, surtout, cet esprit d’équipe qui faisait un peu défaut sur les derniers enregistrements. Même si on sait très bien qu’il est irremplaçable, le père Pollard cède son chant et l’écriture à ses vieux compères sur quelques pistes, cosignant même trois titres avec Greg Demos. L’ailier droit à la guitare, Tobin Sprout, est particulièrement en forme et signe quant à lui quatre des meilleures compositions de l’album, dont un « Waves » complètement chaviré. Symbole de cette unité retrouvée, « Spiderfighter » (signé Sprout), un rock binaire qui semble au départ aller nulle part, puis soudain bascule vers l’état de grâce, Bob Pollard seul au piano, sa voix fébrile en lévitation…

Peu de groupes de rock de 30 ans peuvent prétendre à l’éternelle jeunesse, mais Let’s Go Eat The Factory confirme que le cas GBV fait figure d’ovni tant par sa surproductivité que sa capacité à garder son innocence. Et ce n’est qu’un début, le groupe aurait déjà sous le coude deux autres albums à paraître dans les prochains mois. Mais qui donc stoppera les voix de Robert Pollard ?

En écoute, « Doughnut For A Snowman » :