Les gars de Nottingham affermissent leur propos sans jouer les vieux beaux. Et la voix de Stuart A. Staples est toujours aussi magnétique.
A travers The Something Rain, on pense aux liens nous unissant aux Tindersticks. Eux et nous sommes un vieux couple. Nous les filles et les gars qui tombèrent sous le charme du groupe, il y a une vingtaine d’années. Début d’effeuillage de la décennie 1990. Autour de nous s’ébrouaient noisy-rock, brit-pop, hip-hop, …
Mais revenons à la tendresse. Costumes bien taillés, ambiances surannées, moquettes rouges et rideaux de velours ; lumières tamisées, atmosphère enfumée, amours fêlées. Tindersticks étaient décalés, pas à la page et jamais désuets. L’Angleterre nocturne et humide, les pubs où les heures se dissolvent dans les pintes vidées. Les orgues traînants, les cordes en mélo, la tension sous-jacente. L’impression que parfois ces chansons se cassaient la gueule dans les escaliers. Nuits d’ivresse flamboyantes, hôtels miteux, petits matins la tête empaquetée. La vie de bohème, un peu brûlée.
Nous et Tindersticks sommes installés dans un deux pièces sous les toits, plus près du ciel et des chats. Et des toiles expressionnistes au mur, au sol quelques croûtes grattées. Tindersticks a toujours sorti des disques à la séduction sans fard, des plaisirs simples. Simple Pleasure, ce quatrième album sorti en 1999. Mal aimé, perçu comme secondaire, alors qu’il permettait au groupe de prendre une bouffée d’air – de soul – après deux premiers disques intenses et charbonneux, couronnés de l’œuvre au noir Curtains.
The Something Rain vient conclure le troisième cycle de trois disques. C’est un album parfaitement mis en scène, jouant de la montée progressive du désir. Le long “Chocolate”, travelling berceuse en trompe l’œil, accueille sans la voix de Stuart A. Staples. C’est David Boutler le clavier qui nous raconte l’histoire, membre d’origine avec le guitariste Neil Fraser, la nouvelle mouture du groupe étant complétée de Earl Harvin à la batterie et Dan McKinna à la basse. Bref, on s’est laissé baladé pendant près de 10 minutes, cueillis au milieu par des saxo very Roxy. “Show Me Everything” nous dit Stuart qui déboule enfin. Rythme de la jungle tranquille, Staples en éléphant baryton. On sait les chansons de Tindersticks linéaires, dérives aussi décidées qu’incertaines. Une ligne droite qui peut s’enivrer d’elle même. Sur “This Fire Of Autumn” par exemple, où la voix cuivrée de Gina Foster intensifie le voyage en couleurs chaudes. Ces nouveaux morceaux se teintent d’abstraction, comme “A Night To Still”, qui se tisse sans bouger aux sons d’orgues hypnotiques. “Slippin’ Shoes” remonte la pulsation, avec cuivres rythm’ blues de clair de lune (salut à la cool au Dexys Midnight Runners de Searching For The Young Soul Rebels). Arrive le frisson “Medicine”, fleur d’où éclot une mélancolie de ronds dans l’eau. Puis “Frozen”, rêve qui inquiète et halète, reflétant la voix de Staples en miroirs. Et “Come Inside”, en danse de salon fin de soirée sensuelle … avant de s’effondrer sur la moquette en forme de notes de saxophone. Légère et mutine, notre âme s’envole alors au dessus de nous, “Goodbye Joe”.
On se réveille. La bouteille est toujours vide, le cendrier encore plein. Tindersticks dort à nos côtés. Le visage s’est un peu creusé, le corps s’est vaguement alourdi. Et alors, pour nous aussi. Vingt ans, les noces de porcelaine ; fragile la porcelaine, noble et fragile.
Aux premières écoutes, vu son indolence, on a pu se demander si The Something Rain était un disque doigts de fées, ou poil dans la main. Patiemment patiné durant seize mois, enregistré au studio repaire Creusois Le Chien Chanceux, ce neuvième album affiche une délicate cohérence diversifiée, à l’image des ciels dans tous leurs états qui ornent sa divine pochette (Skies, œuvre de Suzanne Osborne). Et, en ciselant plus que jamais leur texture sonore, mise au service de l’intensité suave des morceaux, Tindersticks réussit à réinjecter un fluide captivant au coeur de sa musique. “Can We Start Again ?” interrogeait S.A.S. en ouverture de Simple Pleasure ; visiblement, oui.
Tindersticks – « A Night So Still (official video) »
Tindersticks – « Medicine (official video) »