On a envie de tout miser sans attendre sur ce précoce songwriter, paysagiste folk déjà virtuose des nuances. Bluffant.


Entamer sa carrière à 17 ans sous le haut parrainage de Sufjan Stevens, il y a pire comme pedigree ou carte de visite… D’emblée, le songwriter brooklinois Will Stratton a quelques coups d’avance sur la concurrence : Post-Empire est déjà son quatrième album alors qu’il n’a que 25 ans. Ses trois premiers opus sont restés jusqu’ici confidentiels mais lui ont permis de se faire progressivement un nom au sein de la scène bouillonnante de la Big Apple.
Post-Empire signifie qu’il est maintenant l’heure pour lui de larguer les amarres pour conquérir de nouvelles terres. En France, c’est le label bordelais Talitres, insatiable dénicheur, qui lui ouvre chaleureusement sa porte. C’est qu’on sait recevoir chez Talitres, et pas n’importe qui : jadis The National et Destroyer, aujourd’hui Maison Neuve et Idaho, bientôt The Apartments… Will Stratton s’inscrit dans cette famille de musiciens qui, on le présage dès la première écoute, est capable d’accomplir de grandes choses, pourvu qu’on lui laisse prendre maturation…

William Stratton est assurément un musicien éveillé. Et c’est souvent le cas, la curiosité va de pair avec cette précocité. Dès son premier album, son intérêt se porte sur les pièces minimalistes du Californien David Lang ou encore le défunt compositeur Morton Feldman, maître des musiques aléatoires. Stratton est aussi un six-cordistes intrigant. Son jeu de picking impulsif, à la beauté désordonnée, met en exergue une technique fauviste apprise en décryptant les tablatures et accordages tordus de l’ancien John Fahey.

Pourtant, Post-Empire est une Å“uvre totale, calculée, dont le pointillisme extrême des orchestrations lui a déjà valu d’être comparée par certains critiques au Eureka de Jim O’Rourke. Point de vue que l’on partage, et auquel il faut ajouter sans rougir le parrain Stufjan Stevens période Illinoise, grand colonisateur de la folk du XXIe siècle (tous deux détiennent d’ailleurs le même grain de voix angélique).

L’écoute de Post-Empire doit demeurer constamment sur le qui-vive, car différentes dimensions sonores cohabitent au sein d’un même espace : cordes et piano tourbillonnants, Field recordings, drones et dissonances étranges… avec toujours une conscience folk en épicentre de ce monde, grouillant et mystérieux, beau et rêche à la fois. Autant de pistes sciemment brouillées, mélodies rompues à l’élégance et de passerelles ouvertes vers le passé (le solitaire « If You Wait Long Enough », modèle de folksong moderne) qui font avancer à l’aveugle l’auditeur tout le long de ce Post-Empire déboussolant – et de lui développer en contrepartie l’ouïe de manière exponentielle. Issu de cette génération, on ne voit guère qu’un autre New Yorkais, Daniel Rossen capable de telles torsions folks. Post-Empire a beau être incroyablement dense, Will Stratton donne l’assurance de n’être qu’au début de son voyage. Bonne route.