Autant l’écrire d’emblée, l’auteur de ces lignes n’a jamais jusqu’alors écouté un album de Liars en entier. D’autres chats à fouetter, ou plutôt l’envie d’être brutalisé par d’autres fauves en liberté. Pourtant il faut bien l’avouer, le trio new-yorkais est reconnu pour être l’une des formations les plus singulières de ces dix dernières années. Quatuor d’abord, pour le premier album enregistré en 2001, They Threw Us All In A Trench And Stuck A Monument On Top. Tout un programme. Suivront quatre albums, dont Sisterworld en 2010. Expérimental, tribal, bruitiste, post-punk ; les qualitatifs ayant accompagné le groupe ne mentent pas. Angus Andrew, Aaron Hemphill et Julian Gross n’ont fait que coller des cailloux dans les godasses de leurs compositions malfaisantes. Des claques, des secousses, la tectonique des plaques en direct live. Des décharges électriques pliées au carré, des formules mathématiques appliquées à l’ère sauvage.
Par souci déontologique, on s’est recollé au tractopelle Liars, à son passé plus que turbulent. On a écouté ce groupe de tarés, performeur perforant qui fait mal aux dents, qui cabosse la caboche. Des arrêtes sur des os, entourés de barbelés. Un clou enfoncé sans fin, comme sur “Scarecrows On A Killer Slant”. Et dans leurs moments les plus calmes, des morceaux zombies qui avancent en claudiquant, prêts à vous dévorer la gueule, tel “Here Comes The People”. En fait, une définition primaire du rock, indomptable, répétitif et méchant. L’explosion perpétuelle d’un trop plein d’énergie et d’exaspération.
Arrive donc WIXIW, disque de paix et d’amour. On rigole. On l’écoute. On ne rigole plus.
“The Exact Colour Of Doubt” nous cueille d’entrée. Ces types ont du génie. Pour le titre et la musique, qui remettent en perspective tout ce qui a précédé, et le présent également. Liars philosophes ? Oui, et depuis le début, sous les couches de croûtes grattées ou séchées. Le pus est sorti, c’est l’heure du baume. Ce morceau est une invitation, une nappe d’infini se déroulant dans l’azur gazeux. Des mots qui veulent juste faire ressentir l’impression de bien être total. Bien être, Liars ? Encore oui, étrangement détendus, tout du long, sans remiser leurs recherches perpétuelles. Ensuite, “Octagon” hypnotise et inquiète. On pense une première fois à Radiohead, mais comme plongé au fond d’un océan aussi statique que changeant. Puis “No 1 Against The Rush” s’escalade lui même, pour dégotter un air pur rarement goutté. L’essence de l’électro, soit des gimmicks qui captent et entraînent, chauds et froids à la fois. Les fans des Liars d’antan auront beau crier à la trahison, en adoucissant ses intentions le groupe s’est ouvert une voie imprenable, aussi surprenante que stimulante. “A Ring On Every Finger” figure une tribu exécutant une chorégraphie quasi burlesque. Les substances avalées ressortant en bulles rythmiques. Chants d’oiseaux et percussion primitive, les deux minutes de “Ill Valeys Prodigies” prolongent la visite d’une autre planète. Peut-être la nôtre, avant notre arrivée, ou après notre disparition.
On est à la moitié du chemin et le morceau “Wixiw” le confirme : le groupe est en roue libre mais il sait où il va, absolument inspiré et posé, créant une jungle abstraite et pourtant si tactile. On réédite My Bloody Valentine ? Le plus bel hommage se trouve ici.
“His and Mine Sensation” – encore cette science des titres – nous ramène sur la piste d’Oxford, avec encore une fois cet aspect direct, sans prise de tête. Les professionnels de la torture sont devenus des maîtres zen. Liars fait dans la nuance, sans en rajouter, on croit rêver. Mais Liars ne tient pas en place, et “Flood To Flood” est de ces morceaux qui vous tournent le cortex à 180 degrés. “Who Is The Hunter” prouve encore que WIXIW est un disque différent. De ce qu’a pu produire Liars auparavant, car si l’esprit tordu est toujours d’actualité, la forme s’avère maîtrisée, apaisée. Différent du reste de la production musicale actuelle également, de ces efforts pesants pour faire nouveau et pas pareil. Si Liars pioche dans la panoplie électro de saison, c’est en faisant émerger des coupes nettes et précises, mouvantes et envoûtantes.
Les premières secondes de “Brats” laissent augurer d’un retour de bâton, d’une volte-face vers la baston. Pas exactement, le malaise est tranquille, dérangé en son milieu et pas loin de la camisole mais comme dompté, donc d’autant plus efficace. “Annual Moon Words” vient conclure le trip de façon presque acoustique. Le morceau aurait pu durer six minutes, il n’en fait pas la moitié.
Ainsi, sur cet album parfait, Liars balaye les excès sans évacuer le plaisir de l’expérimentation. Une question de dosage et d’équilibre, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour un groupe autrefois si brutal et excessif. Enregistré à Los Angeles, WIXIW est un palindrome signifiant Wish You. Comme une invitation ou un espoir, et l’ouverture d’un processus créatif qui pour la première fois sait se montrer bienveillant.
Liars – « No.1 Against The Rush »
Liars – WIXIW (A Short Film)