Seconde excursion Kraut pour l’un des projets parallèle du cofondateur de Portishead, Geoff Barrow. Noirceur et pesanteur accrues.


Tandis que la suite du monumental Third (2008) reste absente des calendriers (Portishead au fil des ans est de plus en plus imprévisible…), Geoff Barrow ne laisse pas pour autant geler sa matière grise. Le bristolien s’implique sur son propre label, Invada Records, où il mène notamment de front pas moins de trois projets parallèles cette année : Quakers, orienté dark hip-hop paru en janvier, ou encore le tout récent DROKK, incroyable BO imaginaire s’inspirant de la BD comics Judge Dredd , mais dont on entend surtout la passion de Barrow pour les claviers analogiques du maître des ténèbres, John Carpenter. Enfin BEAK>, déclaration d’amour assumée au Krautrock, à ce jour son terrain annexe le plus actif, où il redécouvre les joies de la promiscuité à tourner en van avec ses acolytes Billy Fuller (Fuzz Against Junk) et Matt Williams (Team Brick).

Sorti des limbes de Bristol en 2009, le premier album de BEAK> avait été enregistré en douze jours, dans des conditions live, sans overdubs ni seconde piste de rattrapage. Trois ans plus tard, le trio dilue toujours sa Klaustrophobie brumeuse avec une intransigeance d’économie de moyen admirable sur ce second album, « supérieurement » nommé >>.

Ce n’est pas un secret, le malaise inquiétant que s’évertue à ériger la formation britannique se nourrit à la source Kraut des maîtres allemands seventies CAN, NEU !, Amon Düül ou encore Ashra Temple. De ce fait, l’approche musicale de BEAK>> n’a pas d’ambition novatrice, elle prête avant tout fidélité au dogme germanique. Les ingrédients du premier album sont ainsi toujours présents : ligne de basse aux motifs compte-à-rebours avant l’enfer, nappes synthétiques projetant des ondes pesantes et rythmique Motorïk hypnotique…. Il n’empêche, la modernité de l’œuvre, son contexte, est bien ancré en 2012. On ne saurait trouver meilleur écho sonique pour refléter aujourd’hui la pollution urbaine, la paranoïa ambiante et autres maux de notre société occidentale.

Dix titres où le cauchemar se veut de plus en plus épais, même si l’improvisation demeure toujours la source vive – suivre les lignes droite nocturnes et sans fin de « Yatton » et « Spinning Top ».
Il commence à se tramer une organisation, quelques voix à l’agonie, plus présentes que sur le premier EP, occupent pratiquement tout l’album. Une mise en scène du chaos qui s’installe méthodiquement sur plus de sept minutes avec le binaire, « Wulfstan II » (sainte autorité ecclésiastique londonienne du XIe siècle, pour la référence historique…) : une voix incantatoire suit la mesure d’une basse martiale branchée sur PIL, guitare épileptique et chœurs lointains malades… Le virus se propage insidieusement. Deux nouveautés en quête d’ambiances nauséeuses se distinguent : « Elevator », moins pesant, presque organique, ou encore « Ladies Mile » qu’on pourrait décrire comme un coma contemplatif…. Enfin, l’apocalyptique « Kidney », clôt l’album dans un monumental fracas de bruit blanc insoutenable. Aussi cafardeuse soit cette musique, la communication télépathique entre ces trois musiciens est d’une limpidité exemplaire. Et l’on ne peut malgré tout s’empêcher de penser au sourire de Geoff Barrow triturant ces machines infernales.