La forêt de Lescop est sombre mais ses grands arbres donnent plus de fruits que d’ombres.

Voilà près d’un an qu’il distille ses petits cailloux à l’orée d’une inquiétante « Forêt », suivis par un following grandissant de petits poucets rhabillés en jeunes gens modernes. Echappé d’Asyl après quatre albums, Mathieu Lescop a ainsi remisé la camisole collective, afin de tracer, dans les glaces, son propre sillon et livrer ses déflagrations frigorifiées à titre personnel.

L’étendue boisée, déjà louangée en son temps par The Cure, avait donné lieu à un très prometteur EP, taillé à la serpe. La futaie de polycarbonate, équienne et à la coupe rase, accueillait même, pour un remix, un illustre sylviculteur : Dave Sitek, tube cathodique de TV on the Radio. Et le calendrier des semis a ensuite été coché d’apparitions scéniques savamment distillées, en vedette américaine de
The Drums ou Charlotte Gainsbourg.

Pour ce premier coup de feu dans la nuit, Lescop a méthodiquement rempli son barillet de 11 projectiles de cuivre et de plomb, à charge propulsive élevée. Ronds ou pointus, ils se fragmentent à l’envi et se déforment pour mieux atteindre le tympan, quitte à le perforer. La discrète entreprise balistique, déménagée de La Rochelle à Londres, a bénéficié de l’expertise d’artificiers aux références conséquentes. Derrière la console, Johnny Hostile, moitié masculine des Bonnie & Clyde du lo-fi, John & Jehn. Ce dernier, frère d’armes avisé, s’est appuyé, pour le mixage, sur Dave Bascombe, dont l’un des faits de guerre n’est autre que le tutélaire Music for the Masses de Depeche Mode. Si l’on ajoute une iconographie signée Hedi Slimane, l’attelage prend en fait des airs d’arsenal quasi-nucléaire.

Une fois dégoupillée, la grenade révèle pourtant une composition à la redoutable simplicité. Boites à rythmes rigides, claviers aux nappes subtiles et gimmicks de guitares entrent dans la formule, parfois malmenée par quelques stridences électriques. La voix est grave et monocorde, régulièrement incantatoire, et aime à se dédoubler en chœurs entêtants. La diction mécanique et calibrée revient à plusieurs reprises, frôlant le basso ostinato. Jusqu’à la caricature ? Un excès de fainéantise (ou de mauvaise foi) musicale pourrait ainsi faire de Lescop un fils spirituel de Daho (« Hypnose ») ou de Taxi Girl (« Paris s’endort »). Il serait également tentant de penser que le parfum d’Indochine (première époque) a dû traverser les murs des loges lorsqu’ Asyl en assurait la première partie. En fouillant plus sérieusement dans la collection de vinyles du grand frère, on songera plus sérieusement à Marquis de Sade ou Martin Dupont, voire Charles de Goal.

Mais malgré ses faux airs de Jean-Jacques Burnel des Stranglers, Mathieu Lescop semble ne revendiquer aucune filiation, ne pille ou ne capte aucun héritage. Il déroule une très sensible collection de tranches de vie et de nuits (« Slow Disco »), ektachromes minimalistes figés après le premier révélateur. Ils se parent souvent de noir et blanc, parfois de bleu (« La Nuit Américaine »). Sur sa pellicule solitaire, le cinéma de Fassbinder fait écho à la poésie de Rilke. Les récits d’errances aux contours impressionnistes (« Ljubljana », « Los Angeles ») alternent avec les remugles de romances souvent interrompues (« Le Vent »), quand elles ne tournent pas au polar melvillien (« La Forêt »). Les amours sont tortueux voire torturés (« Il est bien dommage et bien étrange / Que le mal soit si beau », dans « Le Mal Mon Ange »). Les souvenirs ont la saveur du sépia et les rêves ne sont pas loin du cauchemar (« Je me réveille sursautant / Encore ce rêve qui revient me mordre », dans « Un Rêve »).

Ce premier effort solo réussi et ses retombées quantifiables propulsent Lescop aux avants-postes d’une nouvelle scène pop hexagonale kaléidoscopique et stimulante, aux côtés d’Aline ou de La Femme notamment. Il a en commun avec ces derniers l’usage audacieux de la langue française et l’aptitude à revisiter le passé avec subtilité, en lui donnant le goût rafraîchissant de leur propre jour. Et dans cette forêt, tant qu’il y a de la sève, l’arbre ne tombe pas…

Lescop, sur le site de Pop Noire Records

A voir : le clip de « La Forêt »