L’ex-folkeuse torturée Chan Marshall expérimente sur son neuvième opus une pop sensible et chaleureuse, parée de nouveaux atours synthétiques, d’une étonnante vitalité.
Cat Power à 40 ans. La chanteuse originaire d’Atlanta en profite pour publier un disque et faire état de sa nouvelle maturité, à la fois personnelle et artistique. Pour aller vite, on peut parler de nouveau cycle, après les premières années folk (les années 1990-2000, sans nul doute les meilleures, à l’image du monument You are free) et les incartades soul de The Greatest (2006) et Jukebox (2008). Avec Sun, Cat Power s’essaye à une pop sensible et chaleureuse, fardée d’ornements électroniques insolites. Un pari audacieux, bien que le résultat soit loin d’être parfait.
A la lecture de quelques interviews, on comprend que Sun, son neuvième opus, n’a pas été conçu sans douleur. Déboires amoureux et soucis financiers ont donc participé à sa gestation, dont le titre pourtant plein d’espoir aurait été déjà trouvé il y a 8 ans. Enregistré par les seuls soins de la dame, mixé par le producteur français Philippe Zdar, l’album surprend : pop, up tempo, presque dansant, et parsemé de sonorités électroniques. Ses instruments de prédilection – guitare et piano – restent centraux mais se voient enrobés d’éléments inédits : boîtes à rythmes (« Cherokee », « Manhattan ») ou basse disco (« Ruin »), nappes synthétiques (« Sun »), et même le fameux correcteur de tonalité auto-tune (« Sun », « 3,6,9 »). Détails étonnants donc, chez une chanteuse qui nous a longtemps habitué à la rusticité et au dépouillement de sa voix.
Sur le plan émotionnel, Cat Power place toujours la barre très haut, continuant d’écrire des chansons à fleur de peau fort de son expérience accumulée depuis son premier album, Dear Sir, en 1995. « I feel choke, emotionally broke » confesse-t-elle sur le pourtant enjoué « 3, 6, 9 ». Sa voix, toujours aussi douce et comme blessée, a aussi gagné en assurance et en gravité. Fragile et poignant dans ses jeunes années folk, l’art de la féline se solidifie dans une forme de plénitude musicale. Adepte des motifs simples, tournoyants (cf. le piano de « Ruin ») ou entêtants (« Peace and love » et ses coups de coude au rap), la chanteuse s’est transformée en musicienne totale, sûre d’elle mais dénuée d’esbroufe. Ses rares invités – le fidèle guitariste Judah Bauer, et Iggy Pop – ne prennent jamais le pas sur l’art libre de l’américaine, à son zénith sur « Ruin » et l’épique et bowiesque « Nothing but time ».
Malgré ses réussites incontestables énumérées, Sun s’égare parfois dans une écriture peu inspirée. Si l’on dénombre une bonne poignée de morceaux de bravoure, on y trouve aussi de nets motifs de déception. Ainsi, le milieu du disque n’est pas loin de provoquer l’ennui, sorte de ventre mou d’un effort général pourtant méritant. « Always on my own » et « Real life » sont dépourvus de mélodies ou de motifs accrocheurs. On s’interroge aussi sur le réel intérêt des gimmicks électroniques, qui n’apportent fondamentalement rien sinon une discutable caution moderne, voire hype. Certes Sun est un disque cohérent, empreint d’une belle vitalité (l’entraînant « Silent machine »), mais ne constitue pas le chef-d’œuvre espéré d’une artiste qui nous a longtemps habitué aux sommets. Dans sa démarche indépendante et audacieuse, Cat Power vient forcer notre respect mais ne ravit plus nos cœurs de la même façon.
Cat Power – « Cherokee »