La résurrection des papes du post-rock après dix ans de hiatus discographique. En un mot, terrassant.


Au sens propre comme au figuré, la secousse musicale de cet hiver est incontestablement le grand retour du collectif phare du mouvement post-rock, GYBE !. Quand on sait l’engagement et intégrité du label Constellation depuis maintenant 15 ans (ha ! les prospectus anarchistes filés lors des concerts !), ce réveil de l’orchestre montréalais de l’Apocalypse n’était en en aucun cas à considérer comme une gentille promenade de santé. Contrairement aux productions studios observées chez la plupart des formations rock revenantes, Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend ! ne saurait être un album indigne, simple prétexte pour repartir en tournée. Le successeur de Yanqui U.X .O devait lui est être supérieur, question de vie ou de mort. « Mladic », l’entrée en matière de ce quatrième album ne laisse planer aucun doute sur le degré de conviction intact du collectif de huit musiciens : ce terrifiant crescendo arabisant de vingt minutes pile – pas une seconde de plus, comme un acte définitif et absolu – scotche littéralement nos esgourdes au septième ciel. Difficile d’être résolument objectif : quelle puissance de feu, nom de dieu !!! Permettez la surenchère de points d’exclamation, mais la vibration graduelle du morceau le requiert.

Chose qui nous interpelle en premier lieu : comment ont-ils conservé cette ferveur, treize ans après leur double chef-d’oeuvre Lift You Skinny Fists… ? Quel est le nouveau déclencheur de cette dimension épique exacerbée ? La réponse serait à chercher dans l’actualité de ces derniers mois. Au Canada, le mouvement de contestation étudiant du printemps érable a résolument inspiré le collectif à reprendre le combat post-rock. Finalement, rien de tel qu’une bonne révolution pour remettre les compteurs de l’inspiration à zéro ! Justement, « Strung Like Lights at the Printemps erable », ultime fronde épique de l’album dédiée aux affrontements entre étudiants et policiers dans les rues de Montréal, incarne la bande-son violente et exaltée de cette jeunesse en rébellion. Il nous tarde maintenant de contempler en concert les projections vidéo de Karl Lemieux, neuvième membre officiel du groupe, pour illustrer ce propos vengeur.

Pourtant, si les révolutions changent, le son de Godspeed You ! Black Emperor, tel une montagne inaccessible, ne dévie pas. Le modus operandi reste peu ou prou identique, à quelques variations près : geyser de guitares shoegazy, tourbillons de cordes lyriques, collages sonores, rythmique hypnotique Krautrock, et par dessus tout, ce sens du climax dramatique exceptionnel. Le collectif canadien sous la baguette de Efrim M. Menuck (guitares) et Mauro Pezzente (basse) a pris son temps pour peaufiner ses compositions, ménager ses effets cataclysmiques, grâce notamment à sa tournée de reformation entamée il y deux ans en Europe et aux Etats-Unis. En atteste « We Drift like Worried Fire », second pavé de 20 minutes qui sculpte minutieusement une tragédie grandiose : conduits par des arpèges mélancoliques obsédants, les arrangements de cordes somptueux de la violoniste Sophie Trudaux se chargent quant à eux de donner le vertige.

Qui d’autre peut se targuer de maîtriser cette tension électrique sous-jacente (écoutez l’obsédant chant des rotors d’hélicoptère sur la seconde plage) ? The Swans peut-être ? L’idiome « toujours imité, jamais égalé » prend ici tout son sens. Sans conteste, Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend ! est un nouveau sommet.