Le 14e opus des garagistes psyché-rock de San Francisco les consacre Walrus du XXIe siècle. Une invitation à passer de l’autre côté du miroir.
Il faut apprendre à suivre la cadence lorsqu’on est un chroniqueur fan de Guided By Voices, Ty Segall et Thee oh Sees, ces hérauts du garage rock alternatif dont la production discographique croit à rythme effrénée. Cette année a été particulièrement prolifique, les deux premiers susmentionnés ayant chacun sorti trois albums, tous excellents. Pour Thee oh Sees, le gang du déjanté John Dwyer (déjanté du genre pyscho/psyché), il s’agit seulement du premier opus de l’année, le précédent est excellent Carion Crawler/ The Dream étant paru en décembre dernier. Baisse de régime ? Il faut concéder que le combo de San Francisco avait tout de même enquillé trois albums d’affilée en 2011…
Encore une fois chez Thee Oh Sees, le titre de l’album se plait à brouiller les pistes : Putrifiers II EP n’est pas un mini-album, ni même une suite. Et que dire de la pochette, volontairement de mauvais goût, fidèle à l’esprit garage « do it yourself ». Outre ces considérations d’ordre esthétique, les dix compositions offertes ici en pâture sont toutes d’excellente tenue. Depuis Carion Crawler/The Dream, on observe chez les mascottes du label In The red, une tendance à éviter de s’éparpiller, en laissant notamment un peu de côté les morceaux « psychérimentaux » casés entre deux bombinettes garage (à l’exception de l’instrumental au son de moog hérissé « Cloud #1 » ).
Si les grattes fuzzent sévères (l’inquiétant morceau qui donne son nom à l’album sorti tout droit d’un film d’épouvante de la Hammer, et les lourds et fiévreux « Wax Face », « Lupine Dominus » …), ce 14e opus poursuit l’obsession des californiens depuis deux ou trois albums à pénétrer dans la 5e dimension des Byrds et jardiner sur les terres verdoyantes des Kinks. Aussi sommes-nous conviés à un bal raffiné de Rickenbacker douze-cordes sur « Goodnight baby », lorsqu’on ne nous fait pas la grande cour sur « Wicked Park », balade finale, aux arrangements de cordes charmants et cockney. Etonnante préciosité de la part de ces rockers tatoués… Et puis il y a « So Nice », qui s’ouvre sur le violoncelle de K. Dylan Edrich, façon « Venus in Furs » du Velvet Underground. Quant à John Dwyer, toujours aussi omniprésent, il assure chant, guitare, basse, claviers, violon, batterie, flûte… et confirme qu’il est actuellement le maître incontesté de la reverb. Ce maniaque de la bidouille en use et en abuse, façonne des climats étonnants, comme sur la sublime balade « Will we be Scared ? ».
Pour solde de tout compte, Putrifiers II EP serait une sorte de Castlemania au format resserré, sans fouillis… et donc plus cohérent. Certes, on perd forcément un peu de l’urgence du Warm Smile LP (2010) et The Master’s Bedroom… (2008) ce que l’on gagne en raffinement. Et puis pour l’adrénaline, il reste toujours les concerts de ces increvables tourneurs, la meilleure attraction rock n’roll qui nous est été donné d’assister ces dernières années. N’en déplaise aux inconditionnels du Blues Explosion, toujours excellents en studio, mais dont les concerts se suivent et se ressemblent. Chez Thee Oh Sees, les concerts ne sont jamais les mêmes, car ces renégats on réinjecté avec panache dans le rock une bonne dose de danger. Et ça suinte grave.