Après avoir longtemps flirté avec le sacré, Low s’y vautre tout à fait, dans la joie retenue bien entendu. Un chemin invisible et magnifique.


Low a toujours été ce groupe que l’on est heureux de croiser, au détour d’un morceau fulgurant, quelque chose qui vous prend aux tripes et au corps. Même si, sur la longueur d’un album, on avait un peu l’impression d’être impuissant au chevet d’un ami souffrant. Un être cher dont on ne pouvait être que spectateur de ses maux vécus. Des plaies et cicatrices magnifiées par une musique aussi intense que minimaliste, électrique et habitée. Le trio de Duluth (Minnesota) a constamment joué lent et profond, comme pour mieux disséquer ses traumas, les sensations et sentiments liés à la difficulté de vivre avec ses contradictions. Du paradoxe d’être habité par la foi et déchiré par une cruelle lucidité, dans un même élan. Une démarche vivement émotionnelle.

Low est une affaire de couples : Mimi et Alan, l’ombre et la lumière, le bruit et le silence, l’exaltation et l’abattement. Depuis I Could Live in Hope en 1994 jusqu’à cet Invisible Way, leur musique s’est enfoncée dans le sable, a bouffé de la terre, a bu la tasse, a rampé sur du verre. A chaque morceau Low semble déplacer une montagne, sans effort mais en saignant un peu .
On a justement rangé Low avec d’autres êtres musicaux aux anomalies mélancoliques américaines, voire âmes dévastées. Idaho, Red House Painters, Smog, American Music Club, Palace … Ceux qui ont donné à la décennie 1990 des arômes de bois brûlés. Les passeurs progressistes de traditions musicales ancrées dans la culture étasunienne. Aujourd’hui, Low accompli définitivement sa mue et devient gospel. A sa façon, éclairé à la bougie et le regard fixé sur ce halo de lumière qui pourfend le ciel, au milieu des orages existentiels.
On peut aussi voir The Invisible Way comme un disque d’après l’amour, lorsque les esprits s’évadent des corps endormis, devenus lourds, vides et inutiles. Transcendant leur art, les voix de Mimi Parker et Alan Sparhawk ne se sont jamais aussi bien unies, comme écho de l’une à l’autre, ou donnant encore l’image d’un prolongement naturel. Une troisième voix, invisible mais au combien pénétrante, harmonieuse jusqu’au trouble.

Dès “Plastic Cup”, où Mimi laisse traîner une poudre lumineuse à la suite des mots d’Alan. Les amants de Duluth poursuivront leurs papouilles tout au long de l’album – leur dixième – où le piano tient la chandelle. Sur le fiévreux “So Blue”, les touches semblent frappées par la foudre. Plus de piano et moins de guitares donc, dont Low lâche cependant la bride sur “On My Own”, fabuleuse divagation se concluant sur un happy birthday extatique. “Holy Ghost”, chantée par la seule Mimi vient vibrer sur les terres folks, pas loin du cher Elliott Smith. Sur “Mother” c’est Alan qui porte la berceuse. “Waiting” avance comme un enfant, bras ouverts. Et “To Our Knees” viendra refermer l’album du bout des doigts.
Sur The Invisible Way, produit par Jeff Tweedy (Wilco), Low déploie l’étendue de sa charge légère aux cÅ“urs lourds, du genre à s’arracher malgré tout du sol des mortels. Une cohérence remarquable, dans le son et l’inspiration. Peu d’éléments mais tous parfaitement en place. En déposant au passage deux classiques instantanés : “Clarence White” (titre hommage au guitariste des Byrds notamment, disparu en 1973) – sidérant blues vaudou – et “Just Make It Stop” – soulful, comme interprété à genoux.
Ok, ce n’est pas encore ce coup ci que l’on dansera le zouk avec Low, mais on se dira surtout que c’est une histoire de couple qui tient (en fait un ménage à trois, avec bassistes de passage, ici Steve Garrington, quatrième du groupe et présent depuis 2008). Et que pour ses vingt ans d’activité, Low trouve là sa formule la plus ample et épanouie, vibrante, tournée vers la lumière.

Invisible Way sera dans les bacs le 19 mars