L’estimé songwriter de Toronto sort son septième album, collection de folksongs désolés impérissables.


On a appris à faire abstraction de toute notion de temps entre chaque nouvelle livraison du très discret songwriter de Toronto, Hayden Desser. Le Canadien a tendance à procrastiner un peu, disparaître du paysage. Quatre années se sont parfois écoulées sans avoir le moindre signe de vie de sa part. Mais on peut lui faire confiance, ses longues parenthèses augurent généralement du meilleur, comme ce fut le cas depuis Skyscaper National Park en 2002, son troisième album et chef-d’Å“uvre de folk introverti, dont l’économie de moyen et d’intensité se mesure aux oeuvres noctambules des Red House Painters et du Loner (monument incontournable de la métropole canadienne et influence la plus évidente d’Hayden). Et la méthode fonctionne plutôt bien comme cela : fort de près de 20 ans de carrière, sa discographie a plutôt fière allure. Même son précédent opus, The Place Where We Lived (2009), que nous trouvions à l’époque enregistré un peu trop prématurément après In Field & Town (2008), car plus classique dans sa forme, mérite avec le recul d’être réévalué.

La genèse d’Us Alone, découle d’ailleurs d’un épisode assez révélateur sur la capacité de disparaitre du musicien. Alerté par un fan que se page Wikipedia l’avait enterré un peu trop tôt, le folker, un peu secoué par la lecture de sa nécrologie, s’est dit qu’il était grand temps de se remettre au travail et d’enregistrer un nouvel album. Certes, ce septième opus studio (le premier pour l’estimé label local Arts & Crafts), ne comporte que seulement huit compositions après quatre années de silence, mais l’excellence est encore au rendez-vous.

On sait toujours plus ou moi à quoi s’attendre d’un disque d’Hayden. Ou plutôt, nous en connaissons les grandes lignes. Ces albums sortent toujours du même écrin artisanal : on y retrouve des folksongs introspectives parées d’arrangements sobres, quelques passages électriques plus nerveux mais pas trop (le single élévateur « Rainy Satuday » et « Blurry Nights » en duo avec la chanteuse Lou Canon), et puis des ballades désolées servies sur un beau piano poussiéreux (« Motel », désarmante de beauté, à la progression d’accord longue inhabituelle). En apparence Hayden pourrait sembler traditionnel, mais à la vérité, il continue de remuer son songwriting, le poussant vers une quête éternelle de pureté, d’honnêteté. Tout l’intérêt repose autour de son habilité de multi-instrumentiste et sa belle économie de moyen. Chaque chanson d’Us Alone possède son caractère, ses propres démons.

On écoute un disque d’Hayden comme on aime prendre des nouvelles de la santé d’un proche qu’on ne voit pas assez. On est curieux de savoir comment il va ces jours-ci, quelles sont ses lubies. Sur Us Alone, les années dépressives des débuts sont déjà loin. Elles ont laissé place à un mordant sens de l’ironie depuis Elk Lake Serenade (2004). Ces jours-ci, ses thèmes personnels gravitent autour de la nostalgie, ses débuts en solo voilà presque vingt ans, la naissance de sa fille (Almost Everything), la jalousie (« Just Give me a Name », superbe de justesse), et bien sûr, cette solitude qui continue de s’accrocher à ses baskets et traverse tout le disque. On aime son chant imparfait, d’apparence ivre, presque à la limite de vaciller, mais qui tient bon jusqu’au bout (écoutez le final somptueux « Instructions », long de 11 minutes).

On raconte que si un ancien parquet grinçant continue d’être entretenu régulièrement, le bois noble durera une éternité. Il en est de même pour l’écriture d’Hayden qui vieilli magnifiquement. Son vernis si singulier, explique une telle longévité et une inspiration jusqu’ici jamais remise en question.