Après un premier effort libre et turbulent en 2008, le groupe du guitariste d’avant-garde Marc Ribot tient ses promesses avec un nouveau disque empli d’encore plus de rage et de folie.


Marc Ribot, guitariste émerite originaire de Newark (NJ), habitué aux collaborations tous azimuts (Tom Waits, John Zorn, Elvis Costello, Bashung, Vinicio Capossela, etc.), revient avec son power trio Ceramic Dog. Ce « chien de faïence » se présente comme un collectif free/punk/funk/experimental/post-electronica, autrement dit un groupe de brouilleur de cartes de l’orthodoxie rock. En poste à la guitare et au chant, Ribot reste accompagné de deux redoutables musiciens issus de l’underground, Shahzad Ismaily (basse, électronique) et Ches Smith (batterie). A eux trois, c’est un missile nucléaire auditif à chaque seconde, une arme de sédition musicale massive. On les avait découverts en 2008 avec un premier effort déjà affranchi des règles, le turbulent Party intellectuals. Sorte d’entrée fracassante de Ribot dans le rock après ses expériences plutôt free/jazz/cubaines, Ceramic Dog promettait des lendemains passionnants. Promesses tenues avec ce deuxième disque aussi fou et enragé que cohérent.

Your turn est d’abord et avant tout un disque de rock’n’roll, consistant pour l’essentiel en une poignée de titres ivres et explosifs. Après un blues bilieux en voie d’ignition (« Lies my body told me »), Ribot lance ses salves de guitares twangy et rugissantes sur de véloces rythmiques (« Your turn », « Ritual slaughter », « Prayer »). Le groupe intercale quelques intermèdes drolatiques et autres respirations jazzy ou reggae (« Avanti populo », « The kid is back », « Ain’t gonna let them turn us round »), pour repartir et terminer sur les chapeaux de roues (« Special Snowflake »). Entre alternance d’instrumentaux obliques et d’uppercuts militants (« Bread and roses »), Your turn forme un tout cohérent où chaque titre emporte l’adhésion. Et au milieu de cette frénésie multi-référencée s’immisce l’imparable « Masters of the Internet ». Au cÅ“ur de cette saillie rituelle au rythme plombé et aux cuivres lancinants, Ribot y loge un rap furibond et ironique sur le rôle des musiciens à l’ère de la révolution digitale.

Ce qui frappe, outre la variété et la justesse des propositions, c’est ce mélange de colère et de fun, interprété par des musiciens funambules, aussi solides que sur le fil du rasoir. A la fois cérébraux et primitifs, raides et débraillés, atonaux et lumineux, les trois de Ceramic Dog parviennent à rendre l’avant-garde enfin accessible. Power trio tout-terrain, aussi lunatique qu’atomique, la formation New Yorkaise offre un nouveau disque azimuté et cohérent. Simplement jubilatoire.