Retour de Lou Barlow et sa bande après 14 ans d’absence. En avait-on vraiment besoin ?


Pour les quadras qui ont connu l’indie-rock des années 90, et notamment le versant américain, quels groupes retiennent-ils en général ? Nirvana, les Pixies, Beck, un peu Yo La Tengo, Weezer et quelques autres encore.
Pour certains, les plus curieux dirons-nous, l’indie-rock nineties était également synonyme de Lo-Fi. Et là, outre Pavement, champions du monde incontestables avec un Slanted & Enchanted mémorable, chacun suivait avec ferveur le parcours de Lou Barlow sous ses milles et uns patronymes, d’une prolixité tout bonnement effrayante. Ce garçon a du sortir pendant une dizaine d‘années au moins deux à trois albums par an ainsi qu’un nombre incalculable d’EPs et de compiles sous Sentridoh, Lou Barlow, The Folk Implosion et enfin Sebadoh.

Aujourd’hui, après une retraite de 13 ans, Lou Barlow réanime Sebadoh. La question majeure qui se pose dans ce cas est la suivante : qu’attendre du retour de sebadoh après un album en 1999 plus que décevant et une décennie pendant laquelle l’inspiration était aux abonnées absente ( Emoh sous son propre nom ou The new folk implosion en sont de cruels témoignages) ? Curieusement, beaucoup. L’an dernier, avec la parution d’un EP, secret, le trio rassurait quant à la cohérence de son retour. Aujourd’hui paraît enfin Defend Yourself.

Le sentiment qui prédomine à la première écoute est celui de la déception. Tout ça pour ça serait-on tenté de dire. Déception parce qu’aucun morceau ne surnage ici, l’ensemble paraît polissé : la production semble gonflée aux hormones, la rage n’y est plus. Ce qui faisait le sel de Sebadoh, à savoir le côté rêche, râpeux, mal dégrossi de leur musique manque terriblement. On se retrouve avec de bons amis qui n’ont apparemment plus grand chose d’intéressant à dire, rabâchant les mêmes souvenirs éculés. Bref, l’album, sans être mauvais ne semble pas intéressant non plus.
La chronique pourrait s’arrêter là, amère.

Mais, c’est de Sebadoh dont on parle. Une icône des années 90 capable du meilleur comme de l’inaudible. Alors on se dit qu’une écoute, aussi décevante soit-elle, n’est peut-être pas suffisante pour appréhender correctement Defend Yourself. On tente une seconde fois. Et dès les premières secondes d’ »I wil », on se laisse prendre par ces paroles sincères et très malines :

« Can you tell that I’m about to lose control
Someone else has found her way into my soul,
things have changed no longer need to be with you,
I’m still the same…
»,

On retrouve ce goût inimitable qu’on aimait tant chez Barlow, ces chansons douce-amères (« On Fire » sur Harmacy ou bien « Soul and Fire » sur Bubble & Scrape), cette saveur mélancolique sur une rythmique sautillante presque insouciante. En somme, on retrouve Sebadoh comme on l’avait laissé il y a deux décennies. La suite, du moins sur le versant Barlow, confirmera ce regain d’inspiration avec quelques morceaux, dans une optique sautillante et joviale, très réussis (« State of Mine » et « Oxygen) ». Mais c’est surtout quand la mélancolie reprend le dessus que le trio devient vraiment le plus touchant et atteint des sommets sur lesquels on n’espérait plus le retrouver (« Listen », dans une moindre mesure, « I Will » donc et surtout un « Let It Out » confinant au sublime pas loin d’un « Think », objectivement le plus beau morceau de la terre de l’univers).

Cependant, Sebadoh, comme chacun sait, c’est aussi une musique âpre, rêche, capable, dans le meilleur des cas, de provoquer des hémorragies auditives. Ce versant là est assuré en général par les deux autres comparses de Barlow. Du temps de sa splendeur, entre 1991 et 1993, Loewenstein et Gaffney s’en occupaient à coup de larsen, de guitares à trois cordes désacordées, de cris limite gutturaux et d’une énergie proprement ahurissante. Vingt ans plus tard, ne reste plus que Loeweinstein aux commandes et une énergie moindre, responsable en partie de la déception provoquée à la première écoute. Pourtant, au bout de plusieurs écoutes, si l’énergie ne semble plus là, elle est remplacée par une tension omniprésente fort bienvenue (« Defend yourself » digne de figurer sur le Washing Machine de Sonic Youth, « Inquiries » aurait très bien pu se retrouver sur Bubble & Crape ) et surtout une capacité à écrire des morceaux plus posés et abordables sans pour autant renier l’essence de ses compositions.

Exit donc les morceaux bruts de décoffrage, sur l’os, enregistrés à la va-vite en une seule prise, la fougue adolescente, bienvenue à la maturité. Hors, à part sur can’t depend, d’une lourdeur accusant le poids des ans, elle sied tout à fait à Loewenstein cette maturité; toujours aussi capable, mais de façon beaucoup plus soigneuse et ordonnée, de foutre le bordel dans ses chansons. Cet « assagissement » de la part de Loewenstein fait que Defend Yourself paraît beaucoup plus cohérent, plus sage et quelque part plus fade que les albums précédents de Sebadoh (exception faite de The Sebadoh médiocre de bout en bout) la première écoute. La grâce des morceaux de Lou Barlow en premier lieu permet d’y retourner puis de découvrir l’excellence de ceux de Loewenstein.

Defend yourself est pour ainsi dire le retour auquel on ne croyait plus de Sebadoh. On retrouve ce qu’on a toujours aimé chez eux, cette capacité à alterner les moments de douceurs et de fureur avec une grande cohérence mais de façon plus posée ici. C’est probablement la première fois qu’un album de Sebadoh demande une attention certaine. Et finit par se bonifier au fur et à mesure des écoutes. Expérience relativement inédite chez eux et suffisamment rare pour ne pas passer à côté.