Etre convié à fumer le calumet de la paix dans le tippie de Tim Rutili relève du privilège et de l’expérience « atypique ».


Etre convié à fumer le calumet de la paix dans le tippie de Tim Rutili relève du privilège et de l’expérience « atypique ». Le grand chef de la tribu Califone fait partie de ce cercle très fermé de musiciens novateurs qui ont pulvérisé le vieux moule de l’Americana. Du haut de sa bonne dizaine d’albums (après trois opus chez Thrill Jockey, Stitches est son second pour Dead Ocean, maison bien déjà lotie au rayon psyché-folk hérissée avec Frog Eyes et Akron/Family), sa formation à géométrie variable, basée à Chicago, a contribué à élever la country alternative vers des horizons impressionnistes inédits, en prospectant inlassablement vers des territoires sonores vierges pour alimenter son songwriting bruissant. Et pourtant son Å“uvre demeure encore scandaleusement confidentielle. On nourrit l’espoir naïf que ce onzième album change un petit peu la donne, car Stitches est encore une fois un tour de force, faisant convoler l’héritage traditionnel avec un sens du modernisme confondant de maîtrise. Qu’il est agréable de ressentir ce sentiment de plus en plus rare d’être désorienté, comme ce fut le cas jadis avec le desert rock de Giant Sand, et de Wilco période Jim O’Rourke. Cernée de textures electro-ambient, de boites à rythmes et autres pointus bruitages industriels, la folk de Califone flirte pourtant avec le vide et les grands espaces, dans un environnement propice à de superbes fuites en avant. C’est le cas du morceau éponyme de l’album, une complainte atmosphérique irradiée de grâce, typiquement califonienne. « Frosted Tips » fait aussi grande impression, une sorte de post country berlinoise, comme Bowie aurait peut-être pu en composer lorsqu’il brisait les frontières du temps de sa formidable trilogie. Le Thin White Duke aurait pu lui-même chanter ce couplet obsédant, « Watching the new world die ». Mais s’il ne fallait n’en garder qu’un, ce serait « Moses », ballade orchestrale parasitée vertigineuse d’émotion. Un monument. Méfiez-vous, ce tippie cache à l’intérieur une densité architecturale de d’une pyramide.

* Un Tumblr officiel qui mérite le détour.