A l’occasion de la sortie de Hot Dreams, l’esthète canadien Taylor Kirk nous parle de David Lynch, de Los Angeles et de son expérience passé dans un musée à emprunter des instruments centenaires…
Que l’on aime s’en retourner errer dans la brume dark folk de Timber Timbre. Hot Dreams cinquième album posté depuis Calgary par le songwriter Taylor Kirk est un nouveau coup de maître, trois ans après le magistral Creep on, Creepin’ on.
Taylor Kirk, ce curieux personnage que l’on pourrait qualifier de « metteur en son », obsédé par les pellicules de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, nous transporte sur Hot Dream au gré de ses rêveries intemporelles, vers une soul bucolique traversée de fantômes. « I wanna dance with the black woman » annonce son timbre grave toujours élégamment posé, sur la langoureuse ballade « Hot Dreams ». Le désir charnel se déroule non sans entretenir une inquiétante ambiguïté. On se laisse porter par le tempo avenant « Beat The Drum slowly » (qui au départ cache bien sa schyzophrénie) jusqu’au définitivement oppressant « The Three sisters », final sans happy end. Car en connaissance de l’univers tout en noir et blanc de Timber Timbre, on a beau guetter dans ces instants enchanteurs ce moment où la chanson va inexorablement virer au cauchemar (l’oppressant « Curtains »), on se fait toujours surprendre. Frisson garanti.
La rencontre avec Taylor Kirk, et Simon Trottier a lieu non loin de Pigalle, dans le salon d’un hôtel à la déco chic/décadente, qui aurait pu parfaitement servir de décor nocturne à leur nouvel album….
Pinkushion : Le premier mot qui me vient à l’esprit à l’écoute de ce nouvel album, c’est sensualité.
Taylor Kirk : Tout à fait. Pour ce disque, je voulais aller plus loin : flirter avec la soul, le R n’B, la Black Music. J’ai pensé qu’il fallait se déconnecter un peu de ce folk « dark blues » qui est un peu devenu notre empreinte depuis sur Creep On...
Avez-vous écouté le nouvel album de Bill Callahan ? Par certains aspects notre rêveur et sensuel, j’y trouve des accointances avec Hot Dreams.
Taylor Kirk : Merci, c’est appréciable. Son album s’appelle Dream River n’est-ce pas ? C’est un très bon disque. A vrai dire, j’ai passé beaucoup de temps à écouter le précédent, Apocalypse. C’est un disque magnifique. Même en l’écoutant simplement, sans l’analyser, la tonalité de l’ensemble est époustouflante.
C’est difficile de ne pas parler de cinéma à l’évocation de votre univers musical. Par exemple pour votre précédent album Creep On Creepin on, je pensais beaucoup à La nuit du chasseur de Charles Laughton. Avec Hot Dreams, vous êtes en quelque sorte passé à la couleur, en égrenant des ambiances à la Blue Velvet et Twin Peaks de David Lynch.
Taylor Kirk : Ces références sont avérées. La nuit du chasseur est un de mes films préféré. C’est marrant, car lorsque nous enregistrions Creep On.. nous avions de plus en plus en tête ces films de David Lynch, ainsi que les BO d’Angelo Badalamenti. Et Simon, tu étais aussi en plein dans ta phase avec la série Twin Peaks à ce moment-là.
Simon Trottier : Oui, ainsi que Lost Highway et Mulholland Drive. On a aussi regardé Blue Velvet ensemble.
Taylor Kirk : Oh oui, c’est vrai. Cette fois sur ce disque, il est certain que chacun d’entre nous s’est prêté à des comparaisons avec les films de Lynch, spécialement en ce qui concerne la localité de Los Angeles comme toile de fond. Mais je continue aussi à dire que – pour autant que j’adore le travail de ce réalisateur -, je trouve qu’on lui donne beaucoup trop de crédits dès qu’il faut évoquer une americana subversive ou bizarre. Je trouve ça étrange que tout ce qui se rapproche ne serait-ce qu’un peu de son univers, lui soit souvent associé. Le terme « lynchien » est presque devenu une citation… Peu importe, vous voyez où je veux en venir. Pour ma part, je pensais en fait à des choses plus larges pendant l’album, notamment le Hollywood de la période dorée.
Simon Trottier : On pensait beaucoup à des films des années 70 comme Taxi Driver ou Rosemary Baby…
Le Chinatown de Polanski peut-être aussi ?
Simon Trottier : Absolument. C’était les références que nous avions en tête. Lorsqu’on travaillait sur les arrangements, Taylor donnait au groupe une direction comme le teaser de Chinatown, ou encore le saxophone dans Taxi Driver. La qualité du son que l’on peut trouver sur ce nouvel album, pour nous, se réfère aux années 70.
Des films en couleur, on y revient. D’ailleurs, la pochette de l’album est toujours en noir et blanc. C’est surprenant, j’aurais pensé que vous choisiriez une image en couleur pour appuyer cette nouvelle orientation.
Taylor Kirk : C’est vrai, je me suis vraiment pris la tête cette fois pour trouver le visuel, car nous voulions en effet un peu casser le moule avec les chansons. Et finalement, la pochette représente un peu le même motif que par le passé. Mais quelque part, ce visuel fait sens pour moi. Toutes ces photos que j’ai prises, qui ne sont d’ailleurs pas forcément d’une bonne qualité, relève un peu d’une catharsis.
Est-ce une photo des années 70 ?
Taylor Kirk : Non, en fait, c’est une photo d’une maison à Malibu que j’ai pris lorsque j’étais en train de composer l’album à Los Angeles. Une photo prise avec mon smartphone d’ailleurs, tout simplement (rire).
Simon, vous ête crédité en tant que co-compositeur et coproducteur de l’album. C’est une première, il me semble.
Simon Trottier : En tant que co-compositeur, c’est une première en effet pour moi. Sur Creep On, j’avais par contre déjà coproduit l’album.
Timber Timbre a commencé en tant que projet solo pour vous Taylor. Des musiciens vous ont depuis rejoint. Est-ce que Timber Timbre est maintenant devenu un groupe démocratique ?
Taylor Kirk : A ce jour, c’est quelque part entre les deux, je suppose. Effectivement, tout a commencé comme un projet solo, et puis c’est devenu un groupe depuis que nous avons commencé à tourner. J’ai toujours pris beaucoup de décisions en termes de production, composition et d’arrangement. Avec Creep On…, j’ai eu l’impression que c’est davantage devenu un groupe, entre Simon et moi. Pour Hot Dreams, les idées que nous avions chacun collectées et recyclées ces dernières années se sont accordées ensemble naturellement. La place de Simon sur les crédits s’est imposée d’elle-même.
Le saxophoniste Colin Stetson joue sur plusieurs morceaux. Comment se sont déroulées les sessions avec lui ?
Simon Trottier : Courtes ! Colin avait déjà participé à l’album précédent. Il est venu passer une journée au studio, et ce fut très rapide.
Taylor Kirk : Je dirais même qu’il est seulement resté une demi-journée, quelques heures. Il travaille très rapidement. Je me demande même si cette fois il n’a pas laissé tourner les bandes et tout jouer dessus en une prise. C’est quelqu’un de très libre. On voulait juste qu’il apporte quelque chose de bruyant et agressif. C’est vraiment fascinant de le voir à l’Å“uvre.
Simon Trottier : Colin est un musicien qui a un bagage jazzy, mais il écoute aussi du metal, un peu comme John Zorn.
Il y aura-t-il un saxophone cette fois lors de la tournée ?
Simon Trottier : Non. Mais je ne pense pas que l’absence de saxophone manque réellement en concert. C’est très joli sur disque, mais nous réarrangeons les morceaux pour la scène, et on s’en sort très bien sans. On remplacera la ligne principale sur Hot Dreams par des guitares. Mais pourquoi pas. Peut-être un jour, nous sommes ouverts pour quelques concerts avec un invité.
Taylor Kirk : Peut-être qu’il y aura du sexe (rires).
On apprend que vous avez utilisé de très vieux instruments pour l’album, empruntés à un musée à Calgary.
Simon Trottier : Oui. Il y a un grand musée à Calgary qui présente des collections d’instruments datant d’il y a parfois quelques siècles en arrière, notamment de vieux clavecins, des pianos… En fait, Taylor a eu l’idée d’aller là-bas pour utiliser la collection de claviers. On était notamment intéressé par l’idée d’exploiter les possibilités sonores offertes par un Mellotron, un orgue ou un Farfisa. Nous étions disposés à rester une semaine, et nous avons emporté un ordinateur avec un logiciel Pro-Tool. On nous a installés dans une petite pièce, c’était un peu comme un bureau.
Taylor Kirk : C’était vraiment un endroit surprenant, avec des instruments unique. Je savais jouer un peu du farfisa, mais celui emprunté était vraiment spécial. Il y avait aussi un technicien qui était là pour préserver les instruments, la plupart sont très fragiles. Il notait scrupuleusement le moindre détail chaque fois que nous en empruntions un : une heure passé sur celui-ci, 20 minutes sur celui-là…. Très intéressant à observer.
Simon Trottier : Il y avait aussi une femme qui accordait les pianos, les clavecins. On a notamment joué sur un piano qui date du XVIIIe siècle, ou quelque chose comme ça…
Vous sentez-vous proche de certains groupes canadien ou de votre label Arts & Craft (ndr : le groupes est distribué par Arts & Craft au Canada et par Full Time hobby/Pias en Europe) ?
Taylor Kirk : Je ne pense pas qu’il existe encore une communauté spécifique au label Arts & Craft (leur label), comme ce fut le cas jadis autour de Broken Social Scene.
Simon Trottier : Il y a beaucoup de groupes à Toronto et Montréal que nous connaissons. Avec Pas d’casque, Malajube, Thus Owl, Fiver, le projet de Simone Schmidt qui joue aussi avec Taylor, ou encore les Barr Brothers.
Cinq films selon Timber Timbre ?
The Shining, Stanley Kubrick
Night of the Hunter, Charles Laughton
Live at Pompei, Pink Floyd
Annie Hall, Woody Allen
Down by Law, Jim Jarmusch
Cinq disques ?
Bitches Brew, Miles Davis
Third, Portishead
Apocalypse, Bill Callahan
Laughing Stock, Talk Talk
Journey to Satchidananda, Alice Coltrane
Timber Timbre, Hot Dreams (Full Time Hobby/Pias)
Timber Timbre – Hot Dreams [Official Video] from Arts & Crafts on Vimeo.