Premier album tendu, fiévreux et plutôt réussi d’un combo Canadien revisitant à lui seul 20 ans de musique indépendante.
Il fut un temps, pas si lointain, où le label Constellation cristallisait toutes les attentions. Souvenez-vous, début 2000 … n’allez pas croire que votre chroniqueur soit atteint d’un alzheimer fulgurant, lui faisant ressasser ad libitum la même introduction pour se dédouaner d’un cruel manque d’inspiration, non c’est juste que, hasard, coïncidence, allez savoir, sort ces jours-ci un nouvel album digne d’attention chez Constellation.
Quelques semaines après le Boy de Carla Bozulich, c’est More Than Any Other Day, premier album de Ought, qui vient titiller nos conduits auditifs. Et autant le dire, celui-ci détonne dans le label. Parce qu’en lieu et place du post-rock habituel (marque de fabrique de Constellation comme chacun sait), ou encore de l’adult rock experimental, c’est ici à une véritable débauche acnéique à laquelle l’auditeur est confronté.
Ce qui veut dire : pas de montagnes russes savamment préparées pendant dix minutes avec explosion et bouquet final de guitares, pas d’ambiances post-apocalyptique avec voix et instruments en bout de course, rien de tout ça ici. Au contraire, il s’agit-là d’un album vif, tendu surprenant, résumant à lui seul vingt ans d’indie-rock américain (années 80 et 90 surtout) et n’hésitant pas non plus à lorgner du côté du rock anglais des années 70/80. D’aucuns évoqueront le Velvet, d’autres Television pour résumer cet album. Triste constat pour un disque bien plus riche qu’il n’y paraît et jamais aussi bon que quand il s’éloigne de la ligne directrice du label.
Pour preuve les ¾ de l’album en prise direct avec la no-wave de Sonic Youth, le post-punk experimental de Talking Heads, mais aussi le lyrisme fièvreux de Mike Scott des Waterboys (« Habit » qu’on jurerait chanté par Mike Scott se prenant pour Tom Verlaine et réciproquement). Les violons grinçants et dronesques de Robert Wyatt (via « Little Red Robin Hood Hit The Road » sur Rock Bottom) ou encore la dance mélancolique de New Order (l’étonnant et excellent « Around Again », curieuse synthèse entre la basse sautillante du groupe Mancunien et les guitares acérées du défunt combo New-Yorkais, Sonic Youth). Ce brassage d’influences, auquel vous pourrez ajouter la sécheresse d’un Drive Like Jehu, ou encore une petite pointe de folie héritée des Pixies, ainsi que la personnalité bien trempée du chanteur/poète Tim Beeler permet à More Than Any Other Day de se hisser au-dessus de pas mal de groupes post-punk actuels grâce à un juste équilibre entre l’intellect et l’instinctif.
Bon, comme il est dit précédemment, ce premier jet n’est pas non plus parfait. L’album perd en intensité ainsi qu’en originalité avec « Clarity » et « Gemini », plus classiques dans leur conception, adeptes des mini-montagnes russes, sur lesquelles on se demande si Constellation n’aurait pas demandé au groupe de se conformer un peu à l’esprit du label. Néanmoins celui-ci ne s’est pas trompé en les signant : le groupe montre une fraîcheur et une rage peu communes et permet à Constellation de sortir de son image de label post-rock politico/intello gnangnan pour en acquérir une plus électrique et passionnante. Replaçant de nouveau, quelques semaines après le Carla Bozulich, Constellation sur la carte des labels à suivre. Ne reste plus qu’à espérer que l’exception soit amenée à durer.