La théorie rock selon Domino, mise en pratique par un prodige Anglais.
Le temps file à grande vitesse. C’était hier, le visage de poupon d’Eugene McGuinne et l’insouciance de ses premières années a depuis laissé place sur la pochette de ce quatrième album au portrait d’un homme au regard perçant, sûr de son fait. Le songwriter anglais aura effectivement trente ans l’année prochaine. Et une carrière dans l’ensemble déjà bien remplie. Traditionnellement, le Royaume-Uni s’est toujours entiché de ce genre de chanteurs cultivant la même coupe de cheveux Mods : Plus mûr que Jack Bugg, moins formaté que Miles Kane, Eugene McGuinness a notre préférence.
Encensé dès ses débuts en 2007, sa folk/rock vigoureuse où il nous contait des histoires caustiques tirées de son quotidien ordinaire, le désignait quelque part entre l’héritier de Morrissey et The Arctic Monkeys pour la verve rock moderne. Mais le londonien d’origine d’irlandaise n’aime manifestement pas rentrer dans les cases. Il a du talent à revendre (il a officié quelques temps comme guitariste pour Miles Kane) et préfère débouler là où on ne l’attend pas : son précédent album, The Invitation To The Voyage, (2012) déconcerta une partie de son public par sa touche electro-rockabilly. Un disque pourtant courageux, où l’Anglais s’amusait à endosser le rôle de crooner noctambule (« Joshua »), en dansant sur des pop song expérimentales dans la lignée sophistiquée des Talking Heads (« Japanese Cars »).
Chroma marque pour Eugene McGuinessun retour à une formule brute, concentré sous le format trio autour de Tom herbert et Leo Taylor, la section rythmique du groupe londonien The Invisible. Enregistré et produits par le fin limier Dan Carey (The Kills, Franz Ferdinand), ce quatrième opus revendique une attitude rock rêche, où l’urgence des guitares impose naturellement la conduite à tenir. L’électricité en fil conducteur. Certains de ses nouveaux morceaux ont longuement été rôdé en tournée l’année dernière, comme « Drink You Milk Shake », entendu à Rock en Seine.
Pressé d’en découdre, Chroma s’ouvre sur une gifle magistrale : avec son riff de guitare tendu, « Godiva », est l’une des missives rock les plus jouissives entendue ces derniers temps, que l’on désigne ex aequo avec celles de leur collègue de label Archi Bronson Outfit. L’envie de revanche binaire assouvie, le prodige enchaîne ensuite une impressionnante collection de popsongs troublantes et directes – Ie triplé gagnant, « Drink You Milk Shake » et son refrain sucré irrésistible, « She Pain Houses », puis « Immortals » et ses chÅ“urs tordus.
Capable d’une extrême concision pop, l’écriture d’Eugene McGuiness sait prendre une tournure inquiétante – l’hypnotique et fantomatique « Fairlight ». Et c’est ce qui rend son univers si singulier. « Black Stang », aiguisé comme un couteau, semble tout droit sorti de la cuisine punk des Buzzcocks. Ajoutons une ballade romantique pas mièvre pour un sou (« All in All »), et on obtient certainement le disque d’Eugene McGuiness qui devrait enfin lui ouvrir une large reconnaissance. Et de confirmer notre impression : c’est chez Domino que l’on trouve les meilleurs groupes anglais à guitare.
https://www.youtube.com/watch?v=XcBUeZzpcAg