Rencontre avec le musicien expatrié à Philadelphie à l’occasion de la parution son troisième opus, Heat Wave, un retour à l’electro pop ainsi qu’aux sources de son adolescence new wave.
En seulement trois albums parus en dix ans, dont le magistral baptême du feu Happiness (2005), Sébastien schuller a été l’un des premiers musicien français à réconcilier une musique electro exigeante avec des mélodies habitées, profondément mélancoliques. Exilé depuis sept ans aux Etats-Unis, ce musicien solitaire et touche-à-tout a pris le temps pour terminer son troisième opus, intitulé Heat Wave. Une excellente surprise qui prend le revers du très orchestré Evenfall, (2009) pour cette fois arpenter les territoires d’une pop new wave minimaliste et intimiste. Un regard nostalgique pour une oeuvre résolument sophistiquée et dans l’air du temps. Encore une fois, Sébastien Schuller parvient à nous délivrer quelques renversantes pop songs, comme le déjà classique « Endless Summer », ou encore le bien nommé « Memory » que l’on n’est pas près d’oublier de sitôt.
Pinkushion : Trois albums en dix ans. On peut dire que vous prenez votre temps pour enregistrer chaque disque.
Sébastien Schuller : C’est assez long, mais en regardant de plus près, un groupe sort un album tous les deux ans, moi je suis seul à tout faire. Quatre ans finalement c’est pas mal. Après, ce n’est pas tant la phase de composition qui prend tant de temps que ça, mais la réalisation finale, le mixage, savoir exactement ce que l’on veut.
Vous avez aussi mixé l’album ?
C’est Yann Arnaud (ndlr : Syd Matters, Air…) qui a remixé une bonne partie du disque, j’ai remixé aussi moi-même quelques morceaux. C’est un travail un peu à quatre mains.
Quand avez-vous commencé à travailler sur ce nouvel album ?
En 2010. En fait, j’ai toujours des titres dans les tiroirs, d’autres que je termine plus rapidement, parfois en une nuit. Mais il y a aussi d’autres morceaux qui prennent beaucoup plus de temps, j’ai alors seulement un leitmotiv et parfois cela prend des mois pour le finir. C’est le cas par exemple du morceau « Memory » sur l’album, où j’ai dû refaire quarante ou cinquante couplets différents, jusqu’au moment où je trouve le bon. Je peux me montrer très patient. De plus avec le temps, il y a aussi d’autres morceaux, d’autres idées qui viennent se greffer.
Pour en venir à ce nouvel album, Heat Wave marque une rupture avec son prédécesseur. Evenfall (2009) était un disque très organique, avec un piano et des arrangements de corde, avec une certaine idée de l’épure sonore. Et là pour Heat Wave on bascule sur des claviers aux sonorités eighties et des boites à rythme.
La new wave m’a toujours accompagné, car j’avais 14 ans en 1984 (rires). Mon premier gros choc musical a commencé à cette période-là. Plus jeune, j’étais influencé par la musique de mes frères et sÅ“urs. Après j’ai bien sûr écouté plein d’autres musiques dans ma vie, mais je pense que secrètement j’ai toujours voulu faire des morceaux qui pouvaient être un peu teintés de cette époque-là. Rétrospectivement, je pense que mon premier album Happiness représentait une période distincte de ma vie. Même si il y avait quand même aussi beaucoup d’électronique dans ce disque, il y avait vraiment une ligne sensible entre la musique électronique et organique/acoustique. Sur le deuxième album, il y avait une volonté d’orchestration, avec des cuivres. Je m’étais vraiment amusé à faire des arrangements. Après ça, j’avais envie de repartir sur autre chose. Et finalement je me suis retrouvé dans le désir de renouer avec ma passion première, qui est la musique électronique et la new wave. Heat Wave est donc moins orchestré, je joue tous les instruments avec des boites à rythme et des synthés. Il y a quand même quelques bassistes qui ont participé sur deux ou trois morceaux.
Même au niveau de la voix aussi, vous utilisiez moins d’effets sur Evenfall.
C’est vrai que j’aime bien travailler les effets, j’ai toujours utilisé la voix comme un instrument, au niveau des couleurs. J’aime bien penser au préalable que la voix vient se poser naturellement d’un morceau à l’autre. Je la travaille différemment d’un morceau à l’autre : ce n’est jamais exactement le même timbre, mais comme ce n’est pas exactement le même morceau non plus… j’ai envie que l’auditeur ne s’ennuie pas à écouter le même type de voix de A à Z. J’aime bien cette variété de contrastes.
J’ai remarqué que souvent vous utilisiez très peu de textes, ou que vous répétiez des phrases, comme par exemple sur « Memory » et « Regrets ».
J’aime bien cette idée de leitmotiv, répéter une phrase. C’est quelque chose qui m’a été un peu inspiré par un musicien comme John Maus, qui utilise beaucoup cette approche. Il a vraiment ce don de trouver des morceaux avec des slogans, des phrases très simples. C’est quelqu’un d’un peu fou, mais il est génial. Sur scène, il est très spectaculaire, c’est un écorché vif, totalement en transe, il se met des coups de micro dans le cÅ“ur. Il a un côté très Joy Division.
À l’écoute de l’album, j’ai trouvé que deux parties distinctes émergeaient. Une première avec une dominante instrumentale ou peu chanté. Puis une seconde partie, plus pop, plus assumée et dansante.
Il y a tout de même « Endless Summer » au début du disque qui est pop et dansant. Mais c’est vrai que les deux premiers titres sont plus instrumentaux, et sur « Cold War », le deuxième titre, il n’y a pas beaucoup de voix, elle arrive tard. Pour moi, c’était vraiment une problématique de savoir si j’allais laisser ce morceau en deuxième plage ou le retirer. Il fait en sorte office de double intro du disque. Après, je crois aussi en la patience de l’auditeur pour aller creuser les plages suivantes. De nos jours, tout le monde vous dirais de mettre les morceaux les plus pop en première ligne. Mais j’aime bien par exemple que, Regrets qui est un morceau beaucoup plus pop, se retrouve sur la 9e plage de l’album. Je trouve ça intéressant qu’il y ait encore des choses à écouter sur la longueur du disque et que tout ne se passe pas un peu sur une première partie finalement.
Personnellement, j’ai commencé à accrocher à partir de « Memory », le cinquième morceau de l’album. Et je trouve que le disque prend toute sa force sur la longueur.
Tant mieux. Je l’espère. Ça ne m’intéresse pas d’écrire un album bancale avec juste un titre ou deux qui viennent le soutenir. Il faut que quelque chose se passe dans l’entité globale du disque. En tous les cas c’est comme ça que j’ai conçu mes deux premiers albums. Après, je pense que les gens auront toujours des préférences ou des déceptions par rapport à un style de musique un tout petit peu différent. Mais mon plus grand but, c’est qu’il se produise des surprises pour l’auditeur lors de la découverte des différents morceaux. Par ailleurs, « Memory » est un de mes morceaux préférés du disque. Content que vous ayez commencé à accrocher là-dessus. Si vous aviez commencé à débrayer à partir de ce morceau, je me serais dit « merde… » (rires).
À l’écoute de ce morceau, les sonorités me font penser au morceau « Everything Count » sur le 101 de Depeche Mode.
C’est une influence totalement revendiquée. J’ai trouvé le leitmotiv du morceau un petit peu par hasard. Je me suis acheté un nouveau clavier qui m’a apporté plein de nouvelles couleurs sonores, ça m’a aidé pour interpréter des influences qui m’avaient accompagné pendant longtemps et que j’espérais digérer aussi. Car l’idée c’est de ne pas refaire du copié-collé. « Everything Count » a été un de mes morceaux très fort de Depeche Mode quand j’étais gamin, « Enjoy the silence » aussi un peu plus tard. Avec « Memory », j’avais trouvé ce genre de rythme et de claviers à la Depeche Mode. Je n’arrivais pas à trouver le refrain, j’en ai fait une quarantaine avant de trouver le bon. Mais une fois que je l’ai réussi, ça a porté le morceau un peu plus haut encore. Mon ami musicien Benoît de Villeneuve m’a dit que c’était mon Enjoy the silence. Venant de lui, ça me touche beaucoup. De toute façon, Depeche Mode est une influence assez présente sur ce disque, puisque c’était l’un des plus gros groupe que j’ai pu écouter à cette période-là. J’ai même vu leur premier concert à Bercy en 1984. Je les ai revus l’été dernier, soit trente ans après, et ça m’a vachement ému, de voir le temps passer… Pour moi, le Live at Pasadena en 1988 marque l’apogée de leur carrière. Ce concert était monumental : On y voit Dave Gahan entre la transe et les pleurs, en correspondance totale avec le public. J’ai adoré ce concert car après il est tombé dans la drogue, et leur trajectoire sera différente avec l’album Songs of Faith & Devotion (1993). Pour moi, l’année 1988 et le 101 restent très symboliques, car la new wave s’arrête à cette période, on passe ensuite à la House et à d’autres choses. La pochette du disque sur mon nouvel album est d’ailleurs un petit clin d’Å“il personnel, avec ces palmiers un peu flous qui symbolisent la Californie et ce concert mythique à Pasadena.
Durant les années 90, il y a eu un rejet des Eighties, avec ses boites à rythme immondes et ses guitares claviers. Il a fallu attendre les années 2000 et après le revival rock pour que les musiciens de notre génération reconsidèrent cette décennie.
Honnêtement, je n’avais pas les instruments à l’époque. Lorsque j’ai commencé la musique, j’avais très peu de matériel. J’ai fait Happiness avec un seul synthétiseur, c’était une rigolade. Lorsque j’annonce à un professionnel que c’était un Kurzweill K2000, on a du mal à me croire. Enfin, c’est tout même un synthé super, car on peut trafiquer les sons. Mais j’ai passé ma vie à triturer des sons car je n’avais pas l’argent pour acheter un Rhodes ou des claviers de l’époque qui pouvaient m’apporter ce que je recherchais. Il y a trois ans, je me suis enfin acheté un synthé qui avait un peu plus de teneur au niveau sonore. C’est seulement à ce moment-là que je me suis retrouvé à faire une musique que je rêvais de faire depuis mon adolescence. Même si je ne renie pas du tout ce que j’ai fait depuis mes débuts. Happiness, c’était un petit peu un parcours de combattant dans mon rapport avec la machine. Finalement, j’ai réussi à créer des sons assez intéressants comme ça, et qui ont tenu la route sur ce disque. Il y a eu aussi beaucoup d’instruments rejoués et enregistrés. Aujourd’hui, je trouve que j’arrive tout seul à des productions plus abouties, surtout dans ce domaine musical.
Tiens en parlant des années 80, qu’avez-vous pensé du film Drive ?
C’est marrant, j’en parlais avec un autre journaliste juste avant. J’ai bien aimé le film, mais ce n’est pas un chef-d’Å“uvre non plus. Par contre, quand je l’ai découvert, j’avais déjà composé « Nightlife » deux ans avant et je me suis dit merde, cette chanson aurait pu réellement s’inclure dans le film. C’est vrai que cet esprit de rouler dans une voiture en écoutant de la musique dans une ville ultra-moderne, c’est quelque chose qui m’a accompagné aussi. J’ai passé beaucoup de temps à écouter ainsi mes maquettes ou à prendre des photos, tandis que ma femme conduisait. C’est même comme ça que j’ai illustré mon site internet, avec mes photos prises en voiture. Côté cinéma, je suis nettement plus fan des films de Paul Thomas Anderson.
Durant ces quatre dernières années, il y a d’ailleurs aussi eu des Bande originales et un nouveau label.
Oui. Entretemps, j’ai aussi travaillé sur la bande originale du film de la réalisatrice Julie Lopes Curval. Son film s’intitule Le beau monde et doit sortir à la rentrée. La musique que j’ai composé n’a rien à voir avec mon disque, c’est beaucoup plus minimaliste : Julie voulait une musique épurée, avec des thèmes mélodiques assez simples, limite un peu plus organiques que sur mon disque car joués au piano. J’ai aussi fait deux musiques de documentaire pour Arte. Ce sont les seuls travaux qui m’ont créée des pauses au niveau de mon travail pour l’album. Heat Wave est le premier album que je sors sur mon propre label. J’avais cette envie de sortir mon disque moi-même.
Cela fait maintenant sept ans que vous vivez aux Etats-Unis, plus précisément à Philadelphie. En quoi cette ville vous inspire ?
J’ai toujours vécu à Philadelphie depuis que je me suis installé aux Etats-Unis. Ma femme est américaine et je l’ai suivi là-bas il y a sept ans. Au fil de mes voyages sur la côte Est, j’ai trouvé des correspondances entre des villes comme Miami et celle dans laquelle je vis maintenant. Sur toute la côte Est, les été sont très chauds, le rythme de vie devient un peu différent. Il y a des néons un peu mauve, un peu violet, de l’architecture art-déco. On est un peu en décalage, à la croisée de gens qui viennent de New York ou de partout des Etat-Unis. Philadelphie est l’une des plus grosses villes juste à la sortie de New York. Il y a une ambiance cosmopolite totale, même un côté caribéen assez étonnant, que l’on retrouve également à Miami. C’est un peu toute cette ambiance-là qui m’a influencé pour l’album.
J’imagine que depuis que vous vivez aux USA, vous avez pris un certain recul sur la France.
Ce qui est fantastique quand on vit dans un pays étranger, quel qu’il soit, c’est qu’il nous donne du recul par rapport à ce qui se passe avec son pays d’origine. Et d’un côté comme de l’autre, on peut trouver des points positifs ou négatifs entre les deux nations. Mais c’est très intéressant pour sa propre culture et évolution : sur le plan de la culture, de la nourriture, les opinions. Par contre, on se retrouve malheureusement souvent en décalage, du fait de notre double expérience.
Et que vous ont apporté les Etats-Unis sur le plan professionnel ?
Rien de spécial. Je ne suis pas parti pour faire fortune aux Etats-Unis, mais pour raisons sentimentales. Justement, c’était le gros paradoxe lorsque j’ai eu ma Green Card au départ, car je travaille plus en France et en Europe. Happiness était sorti aux Etats-Unis à l’époque, l’album a eu quelques bons échos. Je sais que mon nom a un petit peu circulé, mais seulement dans les grosses mégalopoles. Le deuxième disque n’est pas sorti là-bas. Avec ce troisième album, j’espère vraiment pouvoir développer quelque chose vu que j’y habite, faire quelques concerts notamment. Ce serait vraiment dommage de ne pas tenter. J’ai déjà joué à Austin au South by Southwest, ainsi qu’à Brooklyn dans le cadre de concerts intimistes.
Pour Evenfall, vous aviez tourné avec un groupe de musiciens. Comment envisagez-vous la scène avec Heat Wave ?
Pour l’instant on redémarre en trio, avec des projections qui viennent accompagner le live. On va encore continuer à travailler cet aspect qui devrait bien se marier au set. Sur scène je fais pas mal d’électronique, je joue du clavier. Il y a Ludovic Leleu, mon ancien guitariste, qui est passé à la basse. Et Jean-Michel Pires à la batterie et aux pads. Pour l’instant on part en trio, et puis on verra après si le disque reçoit un bon accueil, il est possible qu’on élargisse un peu le groupe. Sur les deux premiers albums à chaque fois on était cinq sur scène. Ce qui était super, mais cette fois la configuration à trois se prête très bien au nouveau disque.
Je me suis amusé à relire l’interview que nous avions faite il y a neuf ans à l’époque de la sortie d’Happiness. Vous me parliez à l’époque de groupes comme Slowdive comme influence. Ça a du vous faire plaisir d’apprendre leur reformation.
La reformation de Slowdive me touche plus qu’une autre, car je suis en fait en contact avec Rachel Goswell, la chanteuse du groupe. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Ça fait des années qu’on s’écrit par correspondance. On s’est rencontré une fois et on a gardé contact, même lorsqu’elle a arrêté la musique. Il était question d’une collaboration, et puis elle a eu des problèmes de santé et de voix. En tous les cas, je suis heureux pour leur succès, la musique de Slowdive reste très actuelle. Je n’ai pas pu encore les voir pour le moment. J’ai trouvé ça touchant de les voir se racheter du matériel, repartir en tournée vingt ans après.
Il y a-t-ils des musiciens français avec qui vous vous sentez des affinités ?
J’adore Dominique A, sa manière d’interpréter le français simplement. Et puis il a une présence sur scène qui m’impressionne, il est capable de plein de choses. Mais depuis que je n’habite plus en France, j’ai l’impression qu’il y a plein de jeunes groupes d’une grande diversité qui ont éclot. J’aime bien Pegase par exemple : je trouve le gars assez doué et intéressant. Il y a tout une génération de nouveaux groupes qui n’ont peur de rien, s’affranchissent de tout, aussi bien de la new wave que du rock. Je suis impressionné par leur talent. Et puis M83, c’est peut-être le projet que je préfère. D’abord parce que c’est le son le plus proche de ce que j’aime faire, et on est apparu un peu en même temps.
Je n’osais pas vous poser la question, mais effectivement sur le plan esthétique sonore, Heat Wave est à ma connaissance l’album qui se rapproche le plus du dernier M83. C’est à croire que les américains sont moins doués que nous pour produire ce genre de musique.
Je ne sais pas d’où ça vient, mais en France on a une patte électronique assez particulière. On a un vrai talent. Cela vient peut-être des films ou des séries TV qu’on a pu regarder dans notre enfance. Je ne viens pas de Versailles comme Air ou Daft Punk mais du 78, et je sais que ma banlieue m’a pas mal inspiré.
Enfin, quels sont vos cinq albums fétiches ?
Depeche Mode – Black Celebration (pour la couleur eighties)
Talk Talk – Laughing Stock
Radiohead – Ok Computer (allez quand même!)
Supertramp – Crime of the Century (un peu l’ovni là-dedans, mais c’est le premier album que j’ai écouté à 7 ans)
Tears for fears – The Hunting (pour « Mad Word »)
Sébastien Schuller, Heat Wave (Modulor)
Sebastien Schuller – Black Light from sebastien schuller on Vimeo.