Désormais en trio, les très cotés anglais et leur pop 2.0 signent un second album réussi, sans arrondir les angles.


On était loin d’imaginer, au moment de la sortie d’An Awesome Wave (2012), premier album des anglais Alt-J, son succès retentissant et son million d’exemplaires écoulé à travers le monde. Non pas que nous doutions de la qualité du disque, loin de là. Nous lui souhaitions même une carrière prometteuse dans le giron indé. Mais l’idée qu’un si large public s’entiche de cette pop hybride et exigeante semblait inaccessible. Aussi, nous avons été littéralement dépassés par l’immense vague de popularité du jeune groupe au fil des mois. De mémoire, une ascension aussi rapide est devenue rare pour une formation rock de ce pedigree. À titre comparatif, Foals a dû attendre son troisième album avant de pouvoir jouer dans des salles de grandes envergures, tandis qu’Alt-J fera quant à lui son premier Zénith parisien en janvier 2015.

Cette soudaine reconnaissance critique et publique n’aura pas été sans conséquence : le départ du guitariste/bassiste Gwil Sainsbury en début d’année, lassé par le rythme soutenu des tournées, a été une lourde perte – lorsque nous avions rencontré le groupe à ses débuts, le guitariste s’imposait pourtant comme le plus disserte et enthousiaste. Après cette importante démise, Joe Newman (chant, guitare), Thom Green (batterie, percussions) et Gus Unger-Hamilton (claviers, chant) ont décidé de poursuivre l’aventure en trio, sans remplacer leur ami. Douce ironie, le quatuor qui s’est au départ appelé comme le raccourci-clavier d’un triangle, l’incarne aujourd’hui mieux que jamais : trois fortes têtes, angles ou sommets qui reliés ne font qu’un. Certainement afin de ne pas perdre ses repères, Alt-J a enregistré ce second album dans le même studio que son prédécesseur dans le quartier de Brixton (Londres) avec le producteur Charlie Andrews, déjà du voyage sur le premier album.

Sans trop non plus opérer de virage décisif ou de percée révolutionnaire, le trio continue avec This is All Yours d’explorer son périmètre connu, celui de son prédécesseur (cela dit, il est vrai assez large). Au coeur de ces popsongs 2.0, les idées abondent toujours autant, s’imbriquent plus ou moins instinctivement entre chÅ“urs sophistiqués, piano oblique, mélodies folk, bazar electro/trip hop et autres expérimentations agréables à l’oreille. Évidemment pour les trois musiciens geeks, le danger est d’éviter de se perdre dans ce puzzle, mais dès lors que le chant de Joe Newman se pose, on est à chaque fois surpris de constater combien les passerelles s’établissent habilement.

Plutôt que d’en rajouter ou d’en faire des tonnes, Alt-J fait même montre sur ce second opus d’une certaine sobriété, du moins sur la grande majorité des morceaux – ce qui n’empêche pas This is all yours d’être un disque long – 52 minutes contre 42 pour le précédent. Parfois étonnamment minimaliste et introspectif comme sur la suite « Nara » (référence à la cité nippone connue pour son immense parc public où des cerfs circulent en toute liberté), le superbe « Choice Kingdom » (et son intro ventée oppressante rappelant 2001 l’Odyssée de l’Espace) ou encore « Pusher », où Joe Newman est seulement accompagné d’une six-cordes et de chÅ“urs funestes. Même si on n’ose plus trop s’avancer côté – sur les albums précédents, « Matilda », « Flitzpleasure », ou « Breezeblocks » n’avaient pas tellement non plus le profil pour devenir des hits en puissance – deux morceaux se détachent par leur défi de pièce-montée, « Hunger of the Pine », qui n’aurait pas dépareillé sur Mezzanine de Massive Attack, avec son final chanté en français par Gus. Ainsi que le massif voir pachydermique « Every Other Freckle », où le triangle se transforme en prouesse pyramidale de chÅ“urs.

Seul faux pas, « Left Hand Free », tentative un peu trop évidente de séduire à coup de refrain facile et de guitares électriques bluesy/brouillonnes, l’effet produit manque singulièrement d’audace. Mais même quand les ficelles sont un peu grosses, il est indéniable qu’Alt-J affirme son identité sur ce second opus et laisse entendre qu’An Awesome Wave n’était pas le fruit d’un heureux hasard.