Quarante-cinq ans après son premier album culte, la folksinger Vashti Bunyan revient pour un sublime dernier tour de piste.


1969, le premier album de Vashti Bunyan, Just another Diamond Day, sort dans une indifférence générale. 2005, son inespéré deuxième album Lookaftering paraît chez Fatcat Records, et bénéficie du soutien de Devendra Banhart et Animal Collective. 2014, cette histoire singulière et proprement miraculeuse se referme avec un magnifique troisième opus, Heartleap.

Autant le dire en préambule : le retour de Vashti Bunyan au premier plan ne s’est pas fait dans la paix et l’harmonie, loin de là. Heartleap contient son lot de douleurs et d’hésitations. En 2009 alors qu’elle commence la composition de nouveaux morceaux pour ce qui deviendra Heartleap, Robert Kirby, arrangeur de trois morceaux sur Just Another Diamond Day, avec qui elle venait de reprendre contact décède. Sous le choc, Vashti laisse en plan son album, le temps d’évacuer la douleur. Il lui faudra deux ans pour reprendre ses compositions et trois autres pour terminer heartleap. Avec une telle histoire, il pourrait être aisé de se dire qu’Heartleap risque d’être mélancolique, douloureux, servant probablement de catharsis à l’auteur. Étonnamment, il n’en est rien. Car l’histoire évoquée ci-dessus n’est pas tout à fait complète. S’il lui a fallu trois ans supplémentaires pour terminer l’album, celui-ci s’est fait chez elle, entourée des siens, dans son home studio, avec pour seul invité rescapé Devendra Banhart, élément figuratif du premier extrait dévoilé sur la Toile, « Holy Smoke ».

Si mélancolie, il y a, elle est présente en sourdine, tapie dans les recoins de chaque chanson. Il arrive parfois à ce vague d’être parfois d’être plus présent (« The Boy ») mais toujours sur la pointe des pieds, cédant la place à une grâce, une délicatesse, véritable marque de fabrique de Heartleap. Des arpèges, un délicat toucher de piano, quelques effleurements de cordes, une recherche constante du dépouillement, de l’épure : nous sommesi non pas ici en présence d’un album ordinaire mais d’un haïku musical, fait de peu de choses excepté l’essentiel : du silence et un doux onirisme. Sur lesquels se pose la voix, enfin… le souffle de la « marraine du freak folk ».

Son chant complète à merveille cet haïku, confirmant à l’écoute un sentiment de paix, de plénitude, d’accomplissement, laissant enfin derrière elle un testament musical d’un apaisement extraordinaire. L’ensemble pourrait être mortifère, ennuyeux, mais au contraire, Heartleap n’en est que plus chaleureux, lumineux, traversé de moments d’une grande beauté (« Across the Water », le sublime « Gunpowder » et tous les autres titres serait-on tenté de dire).

Un disque de peu de choses dont il est difficile de trouver les mots justes, un enchantement de chaque instant et un dernier tour de piste magnifique pour une discographie peu fournie, certes, mais tutoyant les sommets et rejoignant quelque part l’atemporalité d’un Nick Drake.