Retour en fanfare pour le crooner avant-gardiste épaulé par la paire O’Malley et Anderson avec un nouvel album court, pop, lumineux, sobre et radieux. A moins que…


Est il vraiment besoin de présenter Scott Walker ? Ce jeune septuagénaire, crooner respectable et respecté à ses heures au siècle dernier, devenu à l’aube de la cinquantaine l’un des musiciens les plus expérimentaux à avoir vu le jour, sort un nouvel album, à peine deux ans après Bish Bosch. Exploit extraordinaire quand on sait que le Sieur Walker n’a sorti, en près de trente ans, que trois disques ( Tilt en 1995, The Drift en 2006 et Bish Bosch en 2012). Ce qui peut surprendre également, c’est que ce nouvel album est une collaboration avec Sunn O))), groupe, enfin duo (O’Malley et Anderson) à géométrie variable, de drone/doom metal. Étonnant ?? Surprenant ?? Incroyable ? Pas tant que ça car pour ceux qui connaissent la carrière de Sunn O))).
Pour faire simple, cette rencontre était inévitable. Le duo a toujours collaboré avec nombre de musiciens venant d’horizons différents ( Dawn Smithson de Jessamine, Attila Csihar de Mayhem, Oren Ambarchi, Julian Cope, la liste est loin d’être exhaustive) et s’est toujours efforcé de ne jamais rentrer complètement dans le moule du drone/doom en l’élargissant à l’ambient, au black metal ou même au jazz. Alors, après avoir fait chanter/slammer le plus grand fan du monde de Scott Walker sur White 1, après avoir fait le travail inverse de Scott Walker (rendre une musique hermétique accessible au plus grand nombre), il était logique que Stephen O’Malley et Greg Anderson finissent par s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints.

Qu’en est-il de Soused alors ?? Révolution à 360°? Coup d’épée dans l’eau ? Réussite artistique ? Pour commencer, on y retrouve toujours les travers de Scott Walker, depuis Climate Of Hunter: cette façon de penser la musique, l’intellectualiser, cette volonté de la déconstruire, la rendre inaccessible, ce désir de faire une sorte de pop concrète atonale ayant pour seul repère quelque peu humain la voix, impériale et unique, de Walker. Bref, une certaine routine depuis Tilt. Qu’apporte dans ce cas Sunn O))) ? Curieusement le groupe permet à Soused d’être beaucoup moins âpre qu’il n’y paraît. Le duo agit comme une sorte de régulateur sur les humeurs de Walker, de garde fou et lui permet de se poser, d’être presque plus abordable et surtout de mettre un frein à ses débordements arty en recentrant les propos.

Depuis Tilt, on pourrait presque qualifier la musique de Walker psychotique, dans le sens où elle est le reflet d’une vision de la musique propre à son auteur, morcelée, étrange, inaccessible aux autres et ne suivant aucun schéma si ce n’est le sien. La présence de Sunn O))), avec son drone plombant, permet à l’ex Walker Brothers de réintroduire de l’humanité, des sentiments, pas très confortables certes (tension et angoisse) mais au final de revenir parmi nous, d’être à nouveau accessible.
Évidemment il faut prendre accessibilité dans un sens Walkerien du terme : ne pas se leurrer, Soused n’est pas un retour vers la pop orchestrale d’antan. Il reste toujours dans le champs du rock expérimental, du drone voire du dark ambient. Ses morceaux, réduits à cinq sur ce disque, font au minimum neuf minutes mais en présence de Sunn O))), ils semblent mieux construits et deviennent plus abordables (ce n’est pas un hasard si « Fetish » et « Bull », morceaux où le duo est présent à bas bruit, sont les moins intéressants de l’album) voire, parfois passionnants (« Herod 2014 », le flippant « Lullaby »).

Si Soused est annoncé comme une collaboration, l’intelligence de Sunn O))) est justement de s’être mis au service de Walker sans imposer sa personnalité (ce qui aurait été chose vaine de toutes façons, le sieur ayant un ego bien trop imposant) et en dosant justement ses interventions.
Finalement, cette collaboration, ne changera en rien l’opinion que vous vous ferez de Scott Walker : soit vous êtes hermétique à sa musique et dans ce cas, Soused vous fera l’effet d’une purge auditive prétentieuse et imbuvable. Soit vous y êtes réceptif et vous aurez l’impression d’errer dans la psyché labyrinthique et fascinante d’un musicien angoissant au possible. A vous de choisir votre camp.