Retour sur la discographie post-major de The Sound”‹, formation post-punk anglaise trop longtemps passée sous silence, à l’occasion d’une réédition primordiale des albums Shock Of Daylight, Heads And Hearts, In The Hothouse, Thunder Up et Propaganda.


Le travail de qualité finit toujours par payer ! Quoique ! … Longtemps relégué sur les bas-côtés de la route des honneurs et du succès, la formation britannique The Sound emmené par feu Adrian Borland, fait l’objet ces jours-ci d’une réédition essentielle. Nous voilà ainsi bien gâtés et pourvus ces temps derniers. Car The Sound a les faveurs des défricheurs d’Edsel Records qui récidivent quelques mois à peine après la sortie d’une première réédition. Première salve qui contenait la quintessence de ce que le post punk britannique a su engendrer de primordial, d’inspiré et d’épique (1980-1983 – Jeopardy, From The Lion’s Mouth, All Fall Down, le tout accompagné de BBC Sessions). Nous espérions une suite, c’est chose faite !

The Sound, Adrian Borland (centre) En 1984, Adrian Borland est satisfait. Echappés des geôles de la multinationale Warner et de sa sous division Korova, Borland et ses musiciens sont recueillis par Statik Records, structure indépendante en apparence, mais propriété de Richard Branson grand manitou de Virgin. Cette nouvelle ère annonce t- elle des lendemains plus cléments ? Rien n’est moins sûr. Car le coup de pouce du destin n’a jamais frappé à leur porte. Ils enchaînent pourtant depuis 1980 une série d’albums bien au-dessus de la mêlée. Mais rien n’y fait, les vents du succès sont contraires.
Etranger à la médiocrité mais étranger aussi à la reconnaissance publique et critique, dans une moindre mesure, The Sound ne cessera pourtant jamais de côtoyer l’excellence musicale. Abrité donc par Statik au catalogue déjà fourni de surdoués (en tête d’affiche The Chameleons), Borland et ses comparses (Gram Bailey – bass, Colvin Mayers – guitares, claviers et Michael Dudley batterie) relèveront le défi haut la main. Cette copieuse réédition nous en fournit la substance. Car rétrospectivement The Sound a su éviter les travers musicaux et l’obsolescence non programmée des années 80 (dérives pompières, synthétiseurs omniprésents et datés, romantisme exacerbé, saxophone gluant…). Formation à l’architecture hyper classique dont ils ne se détourneront jamais, The Sound sait à contrario en tirer l’essentiel de ces fondamentaux pour nous servir de nombreuses pépites urgentes et mélodiques passées au tamis de l’écriture inspirée de Borland et portées par un chant ample fougueux et désenchanté.

coverdaylight-3.jpg Avril 1984 The Sound s’est déjà paré de tous ces attributs. Première réalisation pour Statik, Shock of Daylight est enregistrée dans une atmosphère favorable et d’une traite. C’est un signe qui ne trompe pas : inspiré, plusieurs classiques du groupe voient le jour : du mélancolique « Counting the Days » de l’urgent, « Golden Soldiers » au dépouillé « Winter » sans oublier « Dreams then Plans » ou fulgurance et chute de tension se succèdent jusqu’à l’épique « Longest Days » où les guitares aériennes enveloppent une ligne de basse bien tracée. Les remaniements contractuels n’ont donc en rien tari la source. Shock of Daylight nous emporte.

The sound entame alors une longue tournée européenne. Cette période hors de leur base met en exergue les premiers signes avant coureur de la fragilité mentale et psychique de Borland. the_sound_-_heads_and_hearts.jpg De retour dans leur studio d’enregistrement fétiche (The Town House) sous la houlette du producteur Wally Brill en lieu et place de Pat Collier, le groupe grave Head And Hearts en novembre 1984. Opus en partie contesté de nos jours par les survivants Gram Bailey et Michael Dudley, il contient néanmoins de très belles choses : en tête de gondoles le bien terrestre « Total Recall » imparable et mémorable ce morceau porte la new wave à son sommet, mais aussi le versant plus pop et immédiat « One Thousand Reasons » (on pense à The Church) et le trépident « World As It Is ». Le reste de l’album est à l’avenant mais avec une sonorité plus chaude et détendue. Une nouvelle pierre – de taille – est apposée à l’impeccable édifice discographique. Mais le dernier étage n’est pas encore achevé.

the-sound-in-the-hothouse-177749.jpg L’album suivant est un live. Quoique de plus évident ! Car The Sound est de ces formations qui prennent tout leur sens sur scène. Enregistré au mythique Marquee de Londres les 27 et 28 août 1985, In The Hot House est double. Il capture toute l’énergie du groupe. Adrian Borland & Co ne déçoivent pas dans les conditions du live. In The Hot House est bouillant ! Claustrophobique, urgent et sans fioriture les titres défilent à pas cadencés, sans tergiversation et le groupe enfile tous leurs classiques récents sans omettre quelques incontournables période Korova/Warner (« Missiles », « Silent Air », « Sense Of Purpose »).

Mais leur dynamique se brise sur les chausse-trappes de l’industrie du disque, du business et de l’incompétence de certains. Conséquence de ceci : Statik fait faillite avec en prime une destruction des masters de leurs albums. Mais Borland a de la ressource. Aidé en cela par un jeune et éclectique label Belge, Play It Again Sam, qui leur tend les bras. Le fruit de cette unique collaboration Thunder Up est cueilli bien mûr en 1987. 220px-thunder_up_cover.jpg Adrian Borland comme inflexible aux vents défavorables plie mais ne rompt pas. Ses qualités d’auteur compositeur font encore merveille sur ce nouvel album. Mayers, Bailey et Dudley sont toujours investis et au diapason. Thunder Up est un aboutissement. Subtile évolution, il est le point cardinal de ce que The Sound a emmagasiné comme cohérence et cohésion. La pop minimale de « Barria Alta » côtoie des fulgurances pop « Iron Years » et « Acceleration Group » ou une surcharge de décibel « I Give You Pain » pour s’atténuer sur des passages plus ombragés « Web Of A Wicked Ways » et « You’ve Got A Way ». Mais point de suite ne sera donnée à tout ceci. Thunder Up sera le point final car Adrian Borland est malade (diagnostiqué souffrant de troubles schizo-affectifs). Ses musiciens jettent l’éponge pour le bien de tous et surtout du sien.

Cette rétrospective contient en outre son lot de faces B et de démos qui se fondent pleinement à l’ensemble sans affaiblir notre écoute. Un inédit « Shimmer » sorti de nulle part ajoute un degré à notre plaisir. Un cinquième CD, Propaganda, au son très brut et confiné balise le passage de l’adolescence (sous l’éphémère formation The Outsiders ) à l’acte de naissance de The Sound en 1980.

Voici donc l’opportunité d’embrasser ou de redécouvrir un auteur compositeur et sa formation en apesanteur. Insensibles aux modes et convenances ils ne regarderont
jamais par la fenêtre pour prendre la mesure du temps. La preuve par cinq grâce à cette primordiale réédition.

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A 41 ans le 26 avril 1999 Adrian Borland aura rendez-vous avec un train maudit. Ses démons intérieurs et sa peine auront définitivement pris le contrôle de sa personne.


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