Rencontre avec le talentueux folksinger de Chicago, dont le deuxième album, Primrose Green, est une merveille pétrie de folk et d’arrangements jazz.
Il serait un peu court de ranger Ryley Walker dans la catégorie des folksingers ersatz de Tim Buckley. Ce bellâtre âgé de 25 ans possède indéniablement d’autres flèches à son arc à six-cordes. Issu de la scène free-noise de Chicago, le musicien s’en est progressivement écarté il y a quatre ans en nourrissant son inspiration de folk sixties et seventies provenant des deux côtés de l’Atlantique – les guitaristes solitaires de l’American Primitive tels que John Fahey mais aussi le poète britannique Nick Drake et le franc-tireur John Martyn. Mais outre son son joli vibrato évoquant (trop ?) le phrasé du père Buckley, ce qui le distingue de la cohorte des suiveurs, c’est sa maîtrise prodigieuse de la guitare sèche (il nous dit s’entraîner six heures par jour). Sur scène, accompagné de sa seule guitare acoustique, Ryley Walker subjugue par la maîtrise et la subtilité de son picking, à la fois complexe et très mélodique. Une aisance instrumentale qui le rapproche d’un autre maître du genre pourtant réputé intouchable, l’ex-Fairport Convention Richard Thompson.
Sur son deuxième album, Ryley Walker a toutefois choisi de s’exprimer en collectif. Et la formule quintet lui réussit. Primrose Green, sorti sur le label Dead Oceans, est un petit bijou de folk intemporel, serti d’arrangements jazzy et de fougueuses respirations harmoniques. L’une des meilleures surprises de ce premier semestre pourtant déjà bien riche en émotions boisées avec les disques de Sufjan Stevens et Jessica Pratt….
Si l’image de la couverture renvoie aux décors automnaux des disques folk d’un autre temps, le garçon n’est pourtant pas du genre mélancolique et timide. Ce jeune homme moderne, qui sous-titre sa page Instagram « Guitare et idiot », est un bon vivant qui aime ne pas se prendre au sérieux.
Entretien
Pinkushion : Vous rappelez-vous de votre premier concert donné à Paris il y a deux ans ?
Ryley Walker : Oh oui bien sûr. Vous y étiez ?
Oui. Vous partagiez l’affiche avec le prodigieux guitariste Daniel Bachman aux Instants Chavirés à Montreuil. Et vous aviez de longs cheveux à l’époque.
Ryley Walker : C’est vrai (rires). Je me souviens avoir été surpris, il y avait beaucoup de monde pour un illustre inconnu comme moi qui mettait pour la première fois les pieds à Paris. Et je remercie Henri d’Hautefeuille de l’association La chaise les Tabourets pour avoir organisé ce concert. J’en garde un très bon souvenir. L’après-midi, on avait fait les touristes en allant voir la tombe de Jim Morrisson au cimetière du Père-Lachaise, et en mangeant des kebabs… Ce fut une très bonne journée (rires). Puis je suis revenu en novembre 2014, en première partie de Cloud Nothings, dans un gros club rock dont je ne me souviens plus le nom (ndlr : la Maroquinerie). Excellente soirée encore une fois. Je me rappelle qu’en coulisses, il y avait une table avec une quinzaine de croissants, chose exotique pour un Américain. Ils n’ont pas fait long feu. (rires)
Depuis, les choses ont plutôt bien tourné pour vous. All kinds of You, votre premier album paru l’an dernier sur le label californien Tompkin Square, a été très bien reçu par les critiques. Vous avez récemment signé sur le label Dead Oceans (The Tallest Man On Earth, Phosphorescent).
Incontestablement, les choses ont bien tourné pour moi. J’ai bénéficié de beaucoup d’attention ces derniers temps. Signer sur Dead Oceans a été une étape importante. Je faisais les choses de façon un peu punk, avec mes propres moyens. Y compris avec Tompkin Square, qui est un petit label géré par un ami qui s’occupe quasiment de tout. Avec Dead Oceans, il y a des moyens nettement plus importants, des gens un peu partout dans le monde travaillent sur le disque.
Vous vivez à Chicago, une ville qui a historiquement laissé une lourde empreinte dans le blues et le jazz.
La ville de Chicago est très importante pour moi. C’est une ville que les gens aiment détester en général. Mais sa culture musicale est incroyablement riche, beaucoup de disques de blues électrique ont eu une énorme influence sur moi. Chicago est une ville très working class, cela se ressent dans son héritage musical. Et ça me parle beaucoup.
Comment se porte la scène folk locale ?
Je dirais qu’il n’y a pas vraiment de scène. Chicago n’est pas connu pour sa folk comme Greenwich village à New York, ou encore Laurel Canyon en Californie. Chicago a toujours été réputée pour la techno, le blues, le jazz.
Il y a aussi le rock, avec Tortoise, Wilco…
J’ai grandi en écoutant ces groupes. Ce sont de bons amis à présent. La scène musicale de Chicago est très ouverte. Tortoise en est un bon exemple : des jazzmen jouant avec des musiciens de rock. Tout le monde dans cette ville joue dans vingt groupes différents. Il n’y a pas vraiment de scènes « jazz », « expérimentale » ou « rock », elles fonctionnent toutes ensemble. C’est un esprit très communicatif.
Votre second album s’intitule Primrose Green. D’où vient ce titre ?
C’est le nom d’un cocktail artisanal inventé avec des amis. Un mélange de mauvais whisky et de graines de fleur Morning Glory (ndlr : une plante qui contient une tryptamine naturelle nommée LSA, qui est proche du LSD). Il suffit d’en boire un verre pour être ivre et partir en plein trip. C’est très fort, ça vous assomme d’un coup (rires).
J’ai lu que vous aviez quasiment improvisé les paroles des chansons durant l’enregistrement de l’album.
Oui, j’ai un peu utilisé la méthode de chant de Jack Kerouac avec son groupe de jazz. C’est ainsi que cela fonctionne le mieux pour moi. En fait, je ne le recommanderai à personne de le faire, ça peut être parfois désastreux. Mais j’aime comme les mots viennent naturellement.
Dans les papiers que je lis à votre égard, les noms de Tim Buckley et Nick Drake reviennent souvent. Personnellement, j’entends davantage le folksinger écossais John Martyn dans votre musique. La façon dont vous chantez sur Sweet fascination empreinte à son fameux phrasé vocal.
Oh j’adore John Martyn. Je me suis beaucoup inspiré de lui. Encore un grand guitariste, très expérimental dans sa manière d’aborder l’instrument et la composition, alors que son chant est fou et sauvage. On dirait John Coltrane jouant du saxophone. Sa musique est très puissante.
Parlez-nous de cet album : qui sont ces fabuleux musiciens qui vous accompagnent ?
Hormis le pianiste Ben Boye (ndlr : collaborateur régulier de Will Oldam), et le guitariste Brian Sulpizio (Health & Beauty) qui avait joué sur un morceau de All Kinds of You, les autres musiciens sont nouveaux sur ce disque. Le contrebassiste Anton Hatwich et le batteur Frank Rosaly qui ont participé aux sessions d’enregistrement sont des amis que je connais depuis longtemps, ils sont issus de la scène jazz de Chicago. C’est grâce à eux si l’album est nettement supérieur au précédent. La guitare électrique est assurée par Brian Sulpizio (Health & Beauty) qui est mon colocataire et aussi mon meilleur ami. Il avait seulement joué sur un morceau de All Kinds of You. L’album a été enregistré très rapidement, en seulement une journée au Minbal studio à Chicago. Et le mixage a été réalisé le lendemain. Ce sont des musiciens qui ont une telle assurance… Je n’avais encore jamais joué avec le batteur avant de mettre les pieds dans le studio. Avec les autres musiciens, nous avions par contre joué les morceaux sur scène pendant trois mois.
On peut entendre la grande maîtrise de leurs instruments sur certaines envolées instrumentales du disque. J’imagine que vu les délais très courts, elles ont toutes été improvisées.
L’improvisation est une partie importante du groupe, notamment pendant les concerts. Sur scène, on jamme tout le temps. Évidemment, l’album est plus structuré, mais en live, certains morceaux de quatre minutes peuvent s’étirer jusqu’à vingt minutes. C’est plus stimulant pour nous.
Vous n’êtes pas en reste avec la guitare acoustique. Ce que j’aime dans votre jeu, c’est que cette virtuosité n’est pas une démonstration gratuite mais reste au service des morceaux.
Merci. La « branlette » ce n’est juste pas mon style. La guitare dans mes morceaux n’est qu’une infime partie du tableau. Elle est nourrie par l’énergie de la basse, qui elle-même se nourrit de la batterie, etc. Tous ces éléments génèrent ensemble un grand élément organique, qui respire. Je ne considère pas ce disque comme un album de guitare, mais comme un album de groupe.
A quel âge avez-vous commencé à pratiquer la guitare ?
J’ai commencé à douze ou treize ans, en prenant des leçons avec un mec qui était un peu fou ! Je lui demandais qu’il m’apprenne à jouer des morceaux de Deep Purple, ce genre de trucs… Quand j’y repense, c’étaient de bons cours, pas du genre dur et théorique. Il m’a surtout appris à aimer la guitare et à prendre du plaisir à en jouer. Ça a duré quelque temps et puis j’ai continué à apprendre par moi-même. Je joue toujours de la guitare, tous les jours, aussi souvent que je le peux. J’étais censé faire une pause tout à l’heure, mais j’ai emporté ma guitare avec moi. Je joue cinq, six ou sept heures par jour. Le matin je me lève, je prends mon café, grille une cigarette, puis je joue avec ma six-cordes. Cela n’a rien à voir avec un travail ou un quelconque sacerdoce, ça fait juste partie de ma journée. Je persiste à penser que la meilleure leçon de musique consiste à écouter des disques, autant qu’on le peut. Acheter des disques lorsque j’étais gosse m’a formé.
En tant qu’adepte du guitar picking (ndlr : cordes pincées à la guitare), qui sont vos modèles du genre ?
Je me souviens que le premier morceau en picking que j’ai appris était une chanson de Led Zeppelin, « Going to California ». J’aimais beaucoup ce groupe quand j’étais jeune, je l’aime toujours d’ailleurs. Grâce à ce morceau, j’ai découvert qu’on pouvait accorder différemment sa guitare, utiliser l’open tuning. Découvrir Bert Jansch et Nick Drake a également été une étape très importante. Ma mère avait des disques de Nick Drake, on l’écoutait souvent à la maison. J’ai toujours écouté de la musique très variée, mais le jeu en picking s’est imposé naturellement à moi.
Ces cinq dernières années, vous avez fréquemment tourné avec votre ami Daniel Bachman. Vous avez même sorti ensemble une cassette en 2011, Of Deathly Premonitions. Lui s’inscrit plutôt dans la lignée des guitaristes de l’école American primitivism, instituée par John Fahey.
Dan est très bon. Je viens en solo au mois d’avril, on va certainement rejouer ensemble à Paris. Puis je vais revenir avec le groupe en septembre. Cette musique, l’American primitivism, c’est bien plus qu’un style à la guitare. C’est un vrai mode de vie. Des gens comme John Fahey étaient en quête des racines de la musique américaine. Un peu à la manière du pionnier Alan Lomax qui cherchait à enregistrer les bluesmen les plus méconnus, laisser une trace du patrimoine. Dan Bachman s’inscrit dans cette lignée.
Par le passé, vous avez un peu approché l’american primitivism dans certaines de vos compositions, mais on ne peut pas vraiment dire que vous en faites partie.
Non. J’aime cette musique, qui est une de mes préférées au monde. Mais j’entretiens avec elle bien plus de différences que de points communs. Pour être honnête, je ne suis pas bon dans ce style. J’adore chanter vous savez. J’aime beaucoup jouer du fingerpicking sur ma guitare, mais je préfère l’inclure dans mon propre style. J’admire les guitaristes de l’American primitive, mais je ne pense que ce soit moi.
Y a-t-il d’autres artistes qui vous inspirent et qui semblent échapper à la critique ?
Derek Bailey est mon guitariste préféré de tous les temps. Je l’écouterai toujours. John Martyn, comme je vous le disais, Bert Jansch aussi, que j’ai tellement écouté. Il y a aussi le guitariste anglais Wizz Jones. Mais je sens aussi une certaine proximité avec mes amis Steve Gunn etJessica Pratt… Leur musique est très bonne et me touche beaucoup. En fait, n’importe qui peut m’influencer du moment qu’il a enregistré un disque et qu’il est vivant.
Pour terminer quels sont vos cinq disques de chevet ?
Alors voici les cinq premiers qui me viennent à l’esprit
John Martyn – Solid Air
Tim Buckley – Blue Afternoon
Nina Simone – Bootlegs (concerts live)
Pharoah Sanders – Black Unity
Bert Jansch – L. A. Turnaround
Ryley Walker, Primrose Green (Dead Oceans)
En concert le 27 avril à Paris, à l’Espace B