Le musicien versatile revient derrière le micro, après avoir longtemps expérimenté autour. Pour un somptueux recueil de ballades pop orchestrées feignant le classicisme.
Quatorze ans que Jim O’Rourke n’avait pas gravé un nouveau disque de chansons. On ne peut pas dire pour autant que le musicien américain ait entretemps délaissé le chant pour se concentrer exclusivement sur des disques instrumentaux – son précédent opus en la matière paru sur Drag City, l’excellent The Visitor (dédié à Derek Bailey), remonte déjà à 2009. Le format chanson, loin d’être abandonné, ne passait tout simplement plus par sa voix. Car outre ses disques et autres innombrables projets et collaborations, celui qui fut le cinquième membre de Sonic Youth a tout de même trouvé le temps en 2010 de produire et arranger un disque hommage au compositeur Burt Bacharach, All Kinds of People (sorti sur le label japonais AWDR), où il jouait les maestros en compagnie de Thurston Moore, et quelques artistes nippons triés sur le volet. Ou bien en composant pour la chanteuse japonaise francophile Kahimi Karie.
Depuis, l’homme se fait très discret. L’un des musiciens les plus prolifiques du circuit rock américain entre 1995 et 2005 s’est exilé à Tokyo où il vit depuis quelques années déjà un peu reclus, même s’il continue de sortir d’obscures disques de drone musique sur son propre label digital Steamroom.
Avec cet inespéré retour du chant au premier plan, l’ex Gastr del Sol donne cours à sa passion pour les chansons orchestrées dans la lignée de ses modèles Burt Bacharach et Jimmy Webb. Et l’homme s’est donné le moyen de ses ambitions, en ciselant sur ses mélodies de somptueux arrangements de cuivres et de cordes. Il faut d’ailleurs clarifier un point d’entrée : il est évident que l’intitulé de ce sixième opus pour le label Drag City est une fausse piste. Quand on connait la densité et la variété de l’Å“uvre de Jim Ô Rourke, où se côtoie folk, rock alternatif, musique électronique, drone musique, improvisations, ou encore le jazz, toute notion de « chanson simple » venant de sa part est relative. La richesse ici des mélodies et des orchestrations en atteste, même si les compositions s’ancrent dans un certain classicisme pop americana, dans la tradition donc des grands songwriters américain seventies – avec une part d’ombre qui renvoie au No Other de Gene Clark, collection de ballades country orchestrées douces-amères (« End of the Road », « Last Year….).
Après toutes ses années, on avait presque oublié le brin de voix du chicagoan d’origine, qui se présente pour le coup doté d’une assurance inédite, voire même surprenante sur « Blue Hotel », grandiose ballade au piano saupoudrée de violons. Si le décorum du disque se veut on ne peut plus rétro, Jim O Rourke ne cède toutefois pas totalement aux compositions alambiquées. On perçoit ici et là quelques fragments de ces disques précédents, dès la frémissante intro à la guitare douze-cordes sur « Friends with Benefits », le fantôme de John Fahey revient planer comme du temps de Bad Timing (1997). Ailleurs sur les mélopées orchestrées, on retrouve le caractère foisonnant de The Visitor. La rudesse électrique sur Last Year et ses progressions mélodiques tortueuses, renvoie quant à elle à Insignificance (2001). Sur « That Weekend », où piano, guitares électriques et violons s’imbriquent dans un complexe puzzle mélodique, on ne voit d’ailleurs que la math pop des prodiges britons de Field Music pour lui tenir tête.
Avec Simple Songs, Jim O Rourke n’a finalement jamais été aussi respectueux de sa culture americana, chose tout à fait étonnant quand on sait que l’album a été enregistré à Tokyo, avec des musiciens japonais. C’est tout le talent des grands musiciens versatiles que de proposer dans une Å“uvre différente couches de lecture. Ces chansons pas si simples en font définitivement parti.