Captured Tracks label US au goût très sûr prolonge et ressuscite l’épopée du légendaire label Néo-Zélandais Flying Nun Records avec deux de ses trésors cachés, Able Tasmans et Sneaky Feelings.


Label mythique des années 80 et 90, Flying Nun fut la malle au trésor de tout amateur de musique en quête d’excellence et d’intégrité. Aventurier pop, explorateur noisy, chercheur indus, prospecteur Low-Fi, découvreur garage ou pionner indie, tout à chacun a eu loisir d’entrevoir et de piocher à son gré dans cette nature luxuriante. Elle restera longtemps préservée et vierge, de toutes scories et pollutions portées par les courants et vents descendants, issues du professionnalisme exacerbé de l’industrie musicale de l’hémisphère nord. Il n’y avait qu’à tendre la main – et les oreilles – pour ramasser ces pépites et ces trésors sonores. L’état de grâce fut décrété et entretenu par la dynamique et la passion qui anima ce label. Toutes ces formations d’une fraîcheur extrême, sans calculs ni compromissions et pressions, ont étalé leurs savoir-faire, leurs naïvetés, sur de multiples références discographiques pendant plus d’une décennie. Cette aura insulaire a engendré un son si particulier – à tort peut être qualifié de « Dunedin Sound » – d’une cohérence et d’une pureté incroyable et reconnaissable entre mille. Plusieurs des meilleurs groupes du label venaient donc de la ville de Dunedin, ÃŽle du Sud, principale pourvoyeuse des groupes à guitares de la Nouvelle Zélande.

Captured Tracks jette aujourd’hui son dévolu sur deux formations plus confidentielles que les ténors de l’époque (The Bats, The Clean) qu’il a déjà dépoussiérées il y a quelques mois. Able Tasmans et Sneaky Feelings participeront avec des fortunes diverses au développement et à l’éclectisme de ce label. Un brin décalé et sans équivalent en interne, elles proposent deux lectures attrayantes et brillantes de la pop musique et du rock.

Une fois n’est pas coutume Able Tasmans n’a pas jeté ses bases à Dunedin mais est initialement originaire de Whangarei, une des villes les plus septentrionales de la Nouvelle-Zélande à quelques 1500 km de l’épicentre Dunedin. Relocalisé par la suite à Auckland ils réaliseront 4 albums et plusieurs EPs entre 1985 et 1996. Leur nom est emprunté au navigateur et explorateur Hollandais Abel Tasman qui découvrit la Nouvelle-Zélande en 1642 en pensant avoir découvert le grand continent austral !
Able Tasmans est d’abord un trio constitué du claviériste et chanteur Graeme Humphreys, du bassiste et batteur Dave Beniston et Craig Baxter. Leur marque de fabrique : une fusion de l’orgue de la basse et de la batterie sur un écheveau de rythmes. Très festive, leur musique possède un dynamisme au-dessus de la moyenne. Témoin de cet enthousiasme communicatif sur le livret de leur premier effort, A Cuppa Tea and a Lie Down , on y voit tous leurs amis posant avec eux pour la postérité.

Ils enregistrent leur premier Ep Tired Sun en 1985 que l’on retrouve sur cette réédition, puis deux ans plus tard leur premier opus. La tribu s’est alors agrandie ; se rajoutent – Stuart Greenway (batterie) en lieu et place de Baxter, Jane Leggott (flute), Dave Tennent (Guitare), Leslie Jonkers (Piano, Orgue) et Peter Keen (chant, guitare).
A Cuppa Tea and a Lie Down capte déjà toute l’essence et l’énergie qui sera la marque de fabrique de la troupe. Sur ce coup d’essai Able Tasmans est déjà adulte. Leur croissance fulgurante est achevée. Leur pop se construit sur une pléthore d’arrangements sophistiqués et luxuriants « Virtues Asunder » mêlés à des atmosphères rêveuses « I See Now Where ». Le son chaud, épais et rond est enveloppé par des nappes de claviers, de guitares et d’orgues. Le travail des voix est aussi attentionné, les harmonies vocales de Keen et Humpreys sont au diapason et indissociables. Pointe régulièrement au gré du disque de nombreux arrangements acoustiques subtils. A l’instar de leurs congénères The Verlaines, s’insèrent çà et là des arrangements orchestraux. La flute s’invite régulièrement sur d’étranges ribambelles pop « Fa Fa Fa Fa ». Le rythme en gymkhana alterne, propulsion supersonique « What Was That Thing » ponctué de cris d’égorgés à la Black Francis (Pixies), avec des interludes tranquilles aux piano et claviers – « And Relax » ou « And We Swan The Magic Bay ». Le pic de ce disque est la chanson « Sour Queen » où tous les musiciens s’en donnent à cÅ“ur joie : l’orgue, la flûte, les voix de Keen et Humphreys, les guitares et la batterie turbinent à plein régime portés par une mélodie imparable. Ultra mélodique et entrainante on tutoie la perfection. « Sour Queen » est une chanson de pop sublime.

Les Tasmans ne seront jamais en quête de célébrité, relâchés et de bonne humeur et sans pression ils graveront par la suite trois albums de «folk rock baroque» mélodiques.



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Les Sneaky Feelings ont eu la fierté eux de participer en 1981 à l’acte fondateur du label Kiwi : le Dunedin Double EP. Deux 12 cm au format 45 tours de plus de 50 minutes, identifiés après coup, comme l’émanation du son de Dunedin. Au coté des Chills, de The Stones et des Verlaines, les Sneaky Feelings n’ont pas bénéficié de cette mise en avant. A l’étroit, leur musique répond à l’appel des grands espaces, tout le contraire de cette tribune au demeurant magique, baignant dans le lo-fi et enregistré en deux semaines, sur le légendaire TEAC 4-track de Chris Knox qu’il usera jusqu’à la moelle tout au long de sa carrière !

Les Sneaky Feelings (en référence à une chanson d’Elvis Costello) se sont formés à Dunedin en 1980. Le quatuor originel est constitué de Matthew Bannister (guitare), David Pine (guitare), Max Satchell (guitare) qui les quittera très vite remplacé par John Kelcher, Kathryn Tyrie (bass) et Martin Durrant (batterie). Ils sont visibles pour la première fois en décembre 1980 lors du deuxième concert de The Chills. La comparaison musicale avec les Byrds est immédiate dans les médias Néo-Z. Leur musique fait la part belle aux guitares électiques et acoustiques réglées sur un pignon d’entrainement rock bien huilé. Mais au sein du catalogue Flying Nun, les Sneaky Feelings demeure unique. Moins noisy et redevable du Velvet Underground que bon nombre de leurs pairs, ils dégagent un classicisme en ne cachant pas leur admiration pour les valeurs du rock et de la soul des années 60 et 70 où ils puisent leur inspiration. On cite également pour les comparatifs les Hollies, Fairport Convention et la Motown.

Leur discographie se construit tranquillement. 1982 : le 45 tours « Better Than Before » précède d’un an le second « Be my Friend » présent en bonus sur cette réédition. Cette parcimonie dans les sorties ils la doivent en partie à la lente adhésion du public. Send You, leur premier opus (un mini album 8 titres) voit le jour en 1984. Cette année là, le label kiwi est à un tournant : l’ imparable et hanté single de The Chills, « Pink Frost » sor,t ainsi que le EP de The Verlaines « 10 O’clock In The Afternoon » qui ne laisseront pas indifférents.

Send You est un classique et un joyau qui ne connait pas la crise d’inspiration ni la contrefaçon. Enregistré dans un studio 16 pistes à la demande du groupe pour pallier à la précarité et la rudesse des conditions d’enregistrements du Dunedin Double, il enfile les perles rock au son de guitares lyriques et pop. Enfin accueillant et propice à l’écoute répétée, Send You comble ses géniteurs mais aussi le public. Il restera leur disque le plus nerveux et brut de leur discographie. Par comparaison le 12cm de 1985 « Husband House » et son morceau éponyme ajouté en bonus est plus réservé et plus riche avec l’introduction de sections de cordes. Il demeura le seul titre des Sneaky à dépasser le succès d’estime en Nouvelle Zélande.

Varié, Send You présente différentes palettes mélodiques. « Strangers Again » nous «Soul » de bonheur. Les guitares sont sous influence sixties, notamment « Someone Else’s Eyes » efficace est très pop. L’enchaînement sans temps mort au coeur du disque de « Pit Song » et « Won’t Change » est le col hors catégorie de cet opus .
Resserrés et tendus, ces 2 morceaux coupés au cordeau sont brulants. Du rock sans concession et imparable. Les guitares s’en donnent à cÅ“ur joie dans un flux maitrisé et crescendo. Ces 2 chefs- d’Å“uvres à l’intensité optimale auraient pu être composés et chantés par une formation Australienne !! On pense aux méconnus The SunnyBoys. La réussite de Send You tient peut-être aussi dans le fait qu’elle possède en son sein trois auteurs – compositeurs et chanteurs (Bannister, Durrant et Pine). L’émulation est donc totale.

On retrouve en bonus – déjà présent sur la réedition Flying Nun de 1992 – 3 titres enregistrés en 1990. Ils ne dépareillent pas en qualité avec les originaux de 1984 mais sensiblement dans la forme et l’humeur – les arrangements sont plus relachés. Le rythmé « Ready or Not » sonne très British, « Cry You Out of My Eyes » est plus aérien et moins tendu. Le fédérateur et énervé « Maybe You Need to Come Back » lui retrouve du mordant et des décibels.

Le fantasque et génial Chris Knox cerveau des Tall Dwarfs et parrain de la scène underground Néo-zélandaise considéra leur musique trop sirupeuse et produite. « Nous voulions être les Beatles, et non pas le Velvet ou les Who » lui répondra Bannister. Il ajoutera : « Nos philosophies musicales étaient complètement en désaccord. » Sneaky Feelings splittera à la fin des années 80 sans fracas après une tournée européenne.

Que nous réserve Captured Tracks pour la suite ? Que du bien ! Car pour les entrants, il reste énormément à découvrir, et pour les autres – les vieux briscards – à replonger la tête la première dans ses eaux claires. Quoiqu’il en soit le back catalogue est là ! … au fond d’un lagon paradisiaque !



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Able Tasmans – A Cuppa Tea And A Lie Down 2xLP/CD (Flying Nun/Captured Tracks)
Sneaky Feelings – Send You 2xLP/CD (Flying Nun/Captured Tracks)