Nouvelle formation US originaire d’Atlanta, Algiers se positionne et vide son sac sur un premier album radical et engagé.
De la matière inédite, mais avant tout de la ferveur, Algiers s’en est doté pour expulser sa rage et son militantisme au son de ce premier album coup de poing. A la croisée du punk – pour l’état d’esprit – et du gospel, ce trio d’Atlanta déclame avec intelligence, et sans retenue, ses idéaux et vérités au son d’une musique maitrisée de colère.
Sur cet album éponyme, Franklin James Fisher (chant), Ryan Mahan (basse) et Lee Tesche (guitare) projettent avec brio et intransigeance – à qui ne veut pas l’entendre – tous leurs acquis et frustrations. Surgit de nulle part ce combo biracial fait de l’audacieux et du personnel avec une armada d’influences et de revendications bien balisées. Le contexte : les prémices de leurs révoltes intérieures et de leur politisation naissent au lendemain de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Les mensonges, proférés comme des vérités et des justifications, alimentent leurs frustrations tandis que Franklin James Fisher étudie en Grande-Bretagne. Comment l’exprimer ?
Primo ; un porte-étendard au nom connoté – Algiers (Alger) – historiquement associé au post colonialisme et à la résistance. Secundo ; des circonstances : un trio de musiciens en devenir qui se rencontre à l’université de Georgie (USA) dans les années 2000, puis s’installe ensemble pour baliser leurs intentions. L’histoire prend forme. Les choses sérieuses débutent à partir de 2007 où le fin lettré et musicien Fisher – enseignant en France – et Mahan étudiant en Angleterre s’échangent leurs maquettes par internet.
Deux conceptions, deux influences – l’une baignant dans l’univers du post punk avec Mahan et Tesche- l’autre ancrée dans les racines du sud et du gospel pour Fisher- vont se télescoper et fusionner pour aboutir en 2014 dans les studios de 4AD à l’enregistrement ce premier opus. La transformation est irréversible et complète. On note un transfert d’énergie et une homogénéisation de toutes les molécules musicales. L’entropie résultante mesurée est nulle car le degré de dispersion de l’énergie est nul. Il en résulte un album incandescent. Algiers est une boule de feu à combustion lente et à la puissance décuplée et hautement stable. Fisher & Co ont trouvé la formule. Elle débute par l’inquiétant « Remains ». Des battements de mains inhospitaliers claquent et nous lacèrent. Ils s’écoutent et s’analysent comme des coups de fouet et font échos à l’esclavagisme « And the chained man sang in a sight, I feel like going home ». On découvre le degré d’implication du chant de Fisher. Possédé et rageur il ne fléchira jamais malgré l’ambiance chaotique et désenchantée de cet opus.
« Claudette » se déploie lui au son d’une boîte à rythmes accompagné par les grondements de Franklin James Fisher. En toile de fond, une guitare rebelle malmenée par un archet est toastée par une réminiscence de soul et de rhythm ‘n’ blues tout droit sorti des usines Motown. Un dub futuriste tournoie tout le long.
Dans cette sombre ambiance nous continuons à nous enfoncer. Dans ce déroutant et tumultueux dédales d’influences (post-punk, indus, électronique, gospel, blues, soul, gothique, noise, no-wave) nos lascars poursuivent et impressionnent. La troisième balise « And When You Fall » est hyper rythmée. Sur un fond noisy, Fisher éructe d’une voix chaude et indomptable ses vérités encadrées par un synthé puissant.
Le sud et son ambiance à la True Detective s’infiltrent et nous accaparent ensuite sur « Blood ». Les coups de fouets mimés et produits par les claquements de mains des musiciens, associés à des cliquetis de chaînes que l’on perçoit distinctivement trainées péniblement par des spectres claudiquants, nous accrochent durablement à cette chanson. Véritable pamphlet, cette exhortation politique et sociale est une pure réussite. La basse y est puissante, Fisher grognant régulièrement pour appuyer le propos. On le sent investi à 100%. La musique est au diapason.
Pas d’atermoiements on embraye sur le chaotique et torturé « Old Girl ». Suit un nouveau brûlot « Irony. Utility. Pretext. ». Sa température d’ébullition est atteinte de façon quasi instantanée. Il conserve le même tempo au-dessus de la moyenne, accompagné d’une boite à rythme et de synthés réminiscents des années Mancuniènes.
De l’originalité et un sang neuf se font visibles sur le devant la scène musicale. Algiers est conçu pour que chacun retrouve un élan et des convictions. Un coup d’Å“il sur leur site internet nous plonge dans l’histoire et ses luttes libertaires à travers le prisme de la musique mais pas seulement. Les figures tutélaires sont visibles (Malcolm X, Spike Lee, Nina Simone, …). Cet album en est la traduction musicale et l’incarnation. Il se poursuit : « But She Was Not Flying » souffle le chaud et le froid, la frénésie et la performance vocale de Fisher ; l’accalmie et la quiétude de l’instrumentation et du rythme.
Sauvage et primitif comme un retour aux sources, saturé de claquements de mains frénétiques l’intro de « Black Eunuch » nous plonge dans le sud rural, puis Fisher au son d’un gospel énervé reprend le contrôle. Des effets de clavier se mettent en place dans toutes les dimensions. La guitare un brin funky rentre dans la danse avec tambourins et basses. Frénétique et renversant, ce morceau l’est totalement. « Games » le morceau suivant ne pouvait pas surenchérir. Tout en retenue et loin du tumulte qui l’a précédé, ressemblant à un pardon, il nous calme et nous trouble. La fin aurait été belle mais nos militants de la première heure ne s’en laissent pas compter. « In Parallax » reprend la lutte ! Cette dernière est un peu vaine. L’album se clôt tout de même sur l’habité «Untitled». La boucle est bouclée.
Hautement recommandé et audacieux, le prêche musical de Fisher et ses acolytes, élève le niveau général et libère enfin les amarres de leurs frustrations trop longtemps restées à quai. Encore ourdie et floutée la clameur musicale de la rentrée monte et se répand. Elle porte un nom « Algiers Unchained ».