Les derniers verrous ont sautés ; après 17 ans de mutisme, les duettistes anglais Chris Difford et Glenn Tilbrook réactivent avec nostalgie et bohneur, Squeeze.


Depuis plusieurs années, le flot de reformations inonde le paysage musical, et précipite inexorablement son lot d’épaves sur les rives inaccessibles de leurs glorieux passés. Echoués et immobiles le constat est amer : la feuille de route – braquée sur l’unique objectif de renflouer les caisses – l’emporte régulièrement sur les louables motivations.

Où situer The Squeeze ? Les fondateurs, Chris Difford et Glenn Tilbrook, n’auront jamais cessé de se côtoyer depuis 1998 et Domino, leur dernier opus en date. On notera même en 2010 la sortie de Spot The Difference réinterprétation anecdotique d’un échantillon de leur glorieux passé. Cradle To The Grave – 14 ème opus – est quant à lui rempli à ras bord de nouvelles compositions. L’événement est donc de taille.

Car l’historique de ce groupe amoureux des belles mélodies et du verbe est dense. 1973, adolescents et camarades, Difford et Tilbrook font déjà leurs gammes dans le sud de Londres. En 1977, John Cale se propose de produire leur premier EP Packet Of Three. 1979, ils décollent dans les charts avec leur second album Cool For Cats. Gardiens du temple de la culture et de la tradition britanniques du songwriting de qualité ils ont apposé leur pierre à l’édifice. Sous influence Beatles et Kinks ils échafaudent un solide socle pop où se superpose diverses influences (soul, rock et new-wave pour leur première période). L’alchimie et le succès de cette formation s’appuient sur la colonne vertébrale Difford et Tilbrook (qualifiée par la presse anglaise de ‘new Lennon and McCartney’).

Songwriters hors pair – ancrés dans le quotidien – le premier compose les textes, le second créant à partir de ces mots la charpente musicale . Le duo monopolise le chant mais la voie caractéristique et entraînante de Tilbrook l’emporte régulièrement. L’Angleterre sous toutes ses coutures et Londres plus précisement seront admirablement croquées en chansons. A l’instar de leurs contemporains – XTC, The Nits – leur premières compositions aux tempo mécaniques et synthétiques vont et viennent sur un rythme heurté sous forte influence new wave. Ils évolueront ensuite vers une pop plus classique. Les incontournables albums de leur première période – Cool for Cats, East Side Story, Argybargy sont néanmoins parfaits et constituent la période bennie de leur carrière.

Pourquoi avoir donc rempilé aujourdhui ? Une simple lecture fut le détonateur. Tilbrook et Difford vont en effet puiser leur inspiration dans le récit autobiographique (Going To Sea In A Sieve) des mémoires adolescentes de Danny Baker – DJ et ancien journaliste au NME. Ce livre est finalement adapté en Sitcom – pour une diffusion cet automne sur la télé nationale Anglaise BBC2 – avec Peter Kay dans le rôle principal. Les comparses ont été pleinement intégrés au projet. Cradle To The Grave sera la conclusion musicale et la bande son de cette comédie.

Ces nouvelles compositions n’ont néanmoins pas à rougir de la comparaison en regard de leur passé. Le line up Squeeze 2015 a cherché la cohésion et à trouver en sus l’inspiration. Le back catalogue demeure pourtant impressionnant et synonyme de classiques indémodables : (« Take me I’m Yours », « Cool for Cats », « Up the Junction », « Another Nail in my Heart », « Pulling Muscles (from the Shell) », « Labelled with Love », « Black Coffee in Bed », « Goodbye Girl », « and Is that Love ? », » Tempted », … ).

Cradle To The Grave nous projette dans un Londres qui n’existe plus, la city des années 70 avec ses histoires ordinaires et ses mutations à venir. Le 1er titre éponyme est enjoué avec une accroche dynamique (piano, ukulélé, ponctué par des cÅ“urs gospels). La troupe au complet est au diapason. Les textes de cet opus démontrent une acuité dévelopée à narrer les événements de la vie quotidienne. « Nirvana » le second titre nous le démontre. Un sample ( ?) furtif de « I don’t like Mondays » des Boomtown Rats est interrompu subitement par un tempo disco et lancinant. Le contenu l’est moins, il narre la déliquescence d’un mariage après le départ d’un enfant.

« Beautiful Game » est un beau morceau de pop musique simplement mise en musique et magnifiquement écrit. Il y est décrit la nostalgie du beau jeu au football en vogue il y a quelques décénies en Grande Bretagne et ses à cotés passionnels. Le premier single « Happy Days » nous emnène en vacances. Les Londoniens et banlieusards quittant la capitale anglaise à la recherche de la côte et du soleil ! Morceau pop par excellence, très ensoleillé, au refrain facile s’étirant sur la fin vers des incantations gospels. L’aérien et énergique « Honeytrap » juxtapose synthétiseurs et guitares dans un entrelacs constant et ascendant. « Top Of The Form » conte les ‘exploits’ scolaires de Danny Baker (‘school was a prison where i sub my time, ‘I never read Schakespeare or understand Latin’) sur un écheveau résolument rock. Le message est clair !

Le brillant et très personnel « Haywire » fait monter la température, là où le cinématographique « Sunny » allège le propos par l’emploi omniprésent d’un violon mêlé à des synthétiseurs analogiques. Les choix de vie de Danny Baker y sont décrits avec acuité. Toute la réussitte de Cradle To The Grave tient dans le mariage solide des textes – pertinents – et de la musique – chaleureuse et mélodique.

British jusqu’au bout des ongles la sitcom et comédie Cradle To Grave restera très probablement non vue par la plupart des européens. Nanard ou chef-d’Å“uvre ?

Une chose est sure, Difford et Tilbrook aka The Squeeze ont fait le job. Et bien !