Rencontre fleuve avec l’ex guitariste de Noir Désir Serge Teyssot-Gay, pour sa dernière escapade en Zone Libre PolyUrbaine, à la périphérie du rock rugueux, du slam et de l’afrobeat.


Après un album expérimental et deux autres orientés rock/rap d’une noirceur absolue, Zone Libre, projet artistique sans balises du guitariste Serge Tayssot-Gay, emprunte un nouveau chemin, celui de la bouillonnante périphérie. Avec le renfort de deux rappeurs de premier plan, le franco libanais Marc Nammour alias La Racaille, et le slammeur américain Mike Ladd, Polyurbaine, quatrième album donc de Zone Libre, capte l’énergie des quartiers populaires de grandes villes. L’illustre guitariste de Noir Dez explore en compagnie de son fidèle lieutenant, le batteur Cyril Bilbeaud (batteur tout terrain de Sloy et Versari) de nouveaux territoires où les rythmes impairs prennent une place prépondérante, épatante rencontre entre l’Afro Beat de Fela et le blues rugueux de Captain Beefheart. Un disque donc plus ouvert et qui opère sa petite révolution de l’intérieur, aussi bien sur le plan instrumental que dans l’énergie dans lequel il puise, celui du mouvement urbain incessant, celui notamment de ceux qui se lèvent tôt pour aller travailler. A l’écoute des hypnotiques « La Montagne », « Nobody Said » ou encore le monumental « Garde-Fou » long de 15 minutes, on ne cache pas notre plaisir de retrouver plus investi que jamais ce guitariste, qui continue de creuser, de chercher, et qui ne peut envisager de créer sans défendre ses convictions. Ses récentes collaborations avec le joueur de oud syrien Khaled Al-Jaramani dans Interzone et ses duos improvisés avec le peintre Paul Bloas en sont d’incontestables exemples. Il nous parle de ses quinze dernières années passées en électron libre, de son rapport au rock, du guitariste de Jesus Lizard, de la crise musicale et bien sûr de ses projets, en perpétuel mouvement…


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Pinkushion : Pour ce nouvel album de Zone Libre, vous vous êtes associé avec deux rappeurs, Marc Nammour, plus connu sous le nom de scène La Canaille, et le slammeur Américain Mike Ladd. Comment est venue l’idée de travailler avec deux rappeurs qui ne parlent pas la même langue ?

Serge Teyssot-Gay : Zone Libre, le noyau du groupe c’est Cyril Bilbeaud (batterie, ex Sloy) et moi. Selon les projets et les envies on s’associe avec d’autres gens. Dans ce cadre, je compose toujours dans mon coin et j’invite les voix après. Je connaissais Marc Nammour par son travail sur La Canaille. On l’avait déjà invité une première fois avec Zone Libre, pour qu’il fasse une adaptation d’un texte d’Aimé Césaire, pour un festival. C’était très différent d’aujourd’hui avec PolyUrbaine, car on était dans le cadre de l’improvisation, plus ou moins préparée. C’est à dire on prépare quelque chose et puis après on navigue. On s’était donc rencontré la première fois sur scène. Depuis cette expérience il y trois ans, on joue de temps en temps ensemble, à la demande. Et puis avec Mike, on travaillait ensemble depuis 2007, mais spécialement sur un projet à lui. Un projet un peu fou à géométrie variable autour de témoignages de vétérans de la guerre d’Irak des deux côtés, américain et irakien. Mike avait formé un groupe à partir de ce projet et je faisais la guitare. Une amitié est née de cette collaboration.

Du coup, quand j’ai eu la possibilité d’avoir une autre carte blanche pour le festival, « Beau Regard » à Caen, j’ai tout de suite pensé à la forme du groupe. Je me disais qu’inclure cette fois à Zone Libre deux voix serait intéressant, ici en l’occurrence Marc et Mike. Je pensais à la forme mais pas au fond, dans la perspective de jouer sur une grande scène d’une capacité de 10 000 personnes. Après avoir leur avoir demandé ce qu’ils en pensaient et avoir eu leur feu vert, j’ai mis ensuite un an pour préparer ce qui allait devenir cette forme formation de Zone Libre. Les deux rappeurs se sont rencontrés trois jours avant le spectacle, je trouvais que c’était suffisant en termes de temps, car je ne voulais pas un gros show préparé, comme certains artistes font souvent pour ces grosses scènes. Mon but était d’avoir un peu de liberté, provoquer des accidents heureux. Un peu comme dans la vie, tu ne peux pas tout préméditer et ce n’est pas souhaitable.

C’est donc ce premier concert qui a tracé la suite du disque Polyurbaine.

Tous les morceaux du concert sont sur le disque, à l’exception d’un. La musique était donc prête en partie, j’avais les thèmes guitare/batterie, puis j’ai beaucoup improvisé sur les solos. J’ai mis ensuite des mois à structurer mes parties instrumentales. J’ai enregistré la musique, et les voix sont venues après.

Ce sont des albums très sombres, mais je n’avais pas envie de faire un troisième album comme ça. Cela n’avait pas de sens pour moi, j’avais poussé les choses jusqu’au bout.

Il en découle un métissage sonore quelque part entre du rock afro beat, du rap et le blues rugueux de Captain Beefheart. On sent que cette musique peut partir dans tous les sens, et en même temps c’est très rythmique.

Serge Teyssot-Gay : l’Afro Beat et le son de Captain Beefheart, ce sont deux influences importantes, ça c’est sûr. Et pour Cyril aussi. Je pense que je suis parti de mes albums précédents de Zone Libre, enregistrés avec les rappeurs Hamé (La rumeur), Casey et B. James. Quelque part ça va dans le même sens. Ce sont des albums très sombres, mais je n’avais pas envie de faire un troisième album comme ça. Cela n’avait pas de sens pour moi, j’avais poussé les choses jusqu’au bout. Je suis parti cette fois avec l’idée de rendre compte de l’énergie de la ville et des gens qui la font vivre. Ces gens qui doivent tous les jours se lever pour aller bosser. C’est une énergie qui va dans le sens de la vie, qui est donc positive. Ce qui explique donc toutes ces rythmiques presque de l’ordre de la transe. Ce n’est pas une musique négative du tout, et je crois que c’est la première fois de ma vie que je fais ça.

J’ai voulu rendre compte de ces différentes cultures qui m’ont nourries depuis toujours : l’afro-beat, la musique orientale et la polyrythmie, qui pour moi représentent ces gens dans la rue qu’on croise et qui vont dans des directions opposées. Donc tout cela se complète. C’est très urbain, d’où son nom, Polyurbain (sourire). Les centres-villes sont des lieux un peu figés. Mais autour, il y a comme un écosystème qui est en évolution permanente. Les visages des villes changent tout le temps du fait de l’urbanisation, ect. Mais il y a une vraie force créatrice qui est là. Et j’ai voulu en rendre compte.

Ça vient aussi d’une réflexion qui vient du fait qu’on est tous confrontés par des stimulis qui nous sont envoyés par nos modes de vie. Un mode de vie où il faut tout le capitaliser, la cité, le travail, l’argent… On te dit qu’il faut toujours être positif, car si tu es négatif, ce n’est pas bon… il faut toujours être au top, et je trouve que ce n’est pas naturel. On ne peut pas avoir de moments forts, si on n’a pas aussi des moments faibles. Je m’éloigne volontairement de ça parce que je n’ai pas envie de nourrir ce raisonnement. Et encore moins l’industrie musicale qui nous demande de nous formater pour exister, et pour soi-disant atteindre un public le plus nombreux possible. Tout cela c’est des choses qui vont à l’encontre de la diversité d’idée et de la création. C’est important car, en ce moment on va plutôt vers un appauvrissement de lieux propices à la culture. Il n’y a plus du tout de place pour la poésie par exemple.

Dans l’album, il y a donc des morceaux de 7, 8 voire 15 minutes comme « Garde-fou »… Mais il y a aussi des morceaux plus courts et abordables comme « La Montagne », « Nobody Said ». C’est un peu un retour à ce que tu faisais avec Noir Désir.

Oui, c’est tout à fait vrai. C’est plus « abordable », ce mot ne me dérange pas.

Tu as connu les années 90 avec l’apogée du CD, les majors qui engrangeaient des sommes considérables. Et puis avec l’arrivée d’Internet on est passé ensuite dans les années 2000 à une crise de l’industrie du disque. Tu as traversé tout ça. Alors bien sûr, il y a les points négatifs que tu as soulevés sur le formatage de la culture. Mais en même temps, on a aussi vu émerger des musiciens qui ont appris à se débrouiller tout seul, par le biais d’Internet. Et finalement, je trouve qu’il y a moins de clivages qu’avant. Les musiciens mélangent davantage les cultures que dans les années 90. Du moins, je le pense.

Je suis d’accord. Il n’y a jamais eu autant de bons musiciens qui proposent des choses personnelles, singulières.

Certes, ces musiciens ne vivent pas à 100% de leur art, mais il se passe des choses.

Tout à fait. Après, ce n’est pas tant que pour des artistes comme moi qui sont connus et installés. Je continue à faire beaucoup de concerts. Mais je suis plus inquiet pour les jeunes artistes, du fait que la musique est devenue gratuite dans la tête des gens. Sauf qu’il faut des moyens, du temps, des compétences pour pouvoir produire un bon disque. Et ensuite, il faut vendre ce disque là pour récupérer au moins la mise qui permettra d’enregistrer le suivant. Il y a toute cette partie de l’économie qui est extrêmement difficile à tenir pour les jeunes artistes. Aujourd’hui, ceux qui gagnent de l’argent sont les sites de streaming et les gros producteurs qui se partagent entre eux des milliards. Il y a des millions d’artistes qui ont été signés par des petits labels achetés par des majors. Ces artistes génèrent tellement peu d’argent qu’ils ne sont pas identifiés, mais le peu d’argent que ces millions d’artistes génèrent, ça fait des milliards. Ce fric-là circule entre les majors et les fournisseurs. Les jeunes artistes mettent leurs morceaux en ligne sur des sites de streaming comme spotify ou Deezer, pour soi-disant être connu. Mais être connu, ça n’apporte rien, juste des clics, ça ne permet pas de travailler. Il y a une hypocrisie totale. Je ne vois pas comment ils peuvent faire pour sortir de cette impasse.

C’est une situation à la fois extraordinaire parce qu’il y a plein d’artistes passionnants, mais ils ne peuvent pas perdurer. Ce n’est plus comme dans les années 90 où tu pouvais signer pour plusieurs albums, il y avait des directeurs artistiques. Puis c’est devenu des « chefs de produit » – déjà symboliquement ça voulait dire qu’on avait vraiment passé un cap, on considérait les artistes comme des produits. Quand bien même ceux qui arrivent à s’en sortir en vendant leur album, ils font ensuite quelques dates et des festivals, et puis c’est terminé. L’époque a complètement changé. Avec Noir Désir, on avait signé pour trois albums. Il y avait un vrai suivi de la maison de disque derrière, qui nous permettait de prendre le temps de développer, murir notre musique. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Je trouve ça dur.

Avant, des groupes comme Sonic Youth, les Pixies ou Radiohead avaient le temps de développer leur vision musicale. Il est vrai qu’aujourd’hui, ce confort-là n’existe plus.

C’est pour cela qu’il y a tant de reformations aussi ! Du coup, on ne laisse plus les jeunes émerger et proposer quelque chose. Alors il y a tous ces groupes de vieux qui remplissent les festivals, c’est juste n’importe quoi. Et de l’autre côté, les gens qui ne restent pas informés disent qu’il n’y a plus rien de neuf en musique. C’est faux. Et pour ces raisons-là. Dans les années 80 et 90, la musique générait plus d’argent, si bien que des groupes qui vendaient peu, mais au moins avec cet argent pouvaient développer leur carrière. Maintenant, les artistes indépendants font tout. C’est ce que je fais aussi, et c’est un choix délibéré. J’ai demandé à Universal qu’ils me rendent mon contrat à la fin de Noir Désir, parce que j’étais contre leur politique de streaming.

Avec Noir Désir, vous étiez une anomalie chez Universal finalement ?

Musicalement non. Ou alors au début je veux bien. Quand on a signé, ce n’était pas commun qu’une major signe un groupe de rock. Ce n’était pas comme la variété qui marchait très bien. Il s’est trouvé qu’on a vendu énormément de disques. Mais finalement, on a servi totalement ce système capitaliste. C’est ça la réalité qui s’est passé. Ça n’empêchait de faire des bons disques et des bons concerts, mais on a participé à nourrir ce bazar. Et moi c’était important dans ma vie à un moment de sortir de ça. Par rapport à mon propos artistique, qui est forcément en réflexion avec ce qu’il y autour de moi. Fallait que je sois intègre au moins vis-à-vis de moi.


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Tu as toujours été très engagé. On dirait que tu ne peux pas concevoir d’enregistrer sans accompagner le propos d’une cause.

Oui, mais ça n’a rien d’incroyable. Beaucoup d’autres le font. Moi je me place plutôt comme quelqu’un qui cherche en musique, et je ne sais pas forcément ce que je vais trouver. Sinon je jouerai pour moi dans ma cuisine, je ne ferai pas tout ça. C’est important pour moi, savoir où on est, ce qu’on fait, pourquoi on le fait. Après, je ne suis pas spécialement un artiste engagé, je fais seulement mes trucs avec mes convictions. J’ai tellement vu d’artistes qui sont des imposteurs, au niveau justement de l’engagement, qui revendaient une position politique. Et puis après dans les actes il n’y a rien. J’ai vu ça énormément dans les années 2000, il y avait énormément d’artistes qui se disaient engagés, juste pour faire parler d’eux. Mais pour moi, il n’y a que les actes qui comptent.

Sur Polyurbaine, je suis parti de l’énergie des gens et de la ville, et j’ai composé en fonction de ça.

Pour en venir aux textes, comment se sont déroulés les sessions d’enregistrement avec Marc Nemmour et Mike Ladd ? Ont-ils collaboré ensemble ou l’un après l’autre ? « La montagne » par exemple, le texte semble reposer sur celui de Marc Nemmour, et puis Mike Ladd pose autour des punchlines.

Ils ont travaillé ensemble. Mais pour « La Montagne », ça c’est un peu passé comme tu dis. Quand ils se sont rencontrés, Marc avait déjà une idée de ce qu’il voulait aborder. Marc n’est pas du tout de la même école que Mike, il prépare beaucoup ses textes. Il vient de l’oralité, du free style, c’est un grand improvisateur. Par exemple sur « Garde-Fou », un très long texte, c’est juste une impro. Mike a cette capacité-là. Et donc sur « La Montagne », Marc avait déjà une idée des thèmes qu’il voulait aborder, et il se trouve que ce sont des thèmes universels. Mike, a une façon d’aborder les textes bien à lui, c’est une espère de patchwork phénoménal. D’ailleurs, c’est en travaillant avec Mike que j’ai eu l’idée d’appeler le titre de l’album Polyurbaine. On a cette même réflexion, celle de vouloir créer quelque chose d’unique par l’accumulation de nos différences les uns des autres. On n’invente rien, mais on crée quelque chose d’unis. Ce n’est pas spectaculaire, mais il se passe vraiment quelque chose entre nous.
Pour Mike, les mecs qui vivent à Brooklyn sont les même qui vivent en banlieue de Dakar. Il est dans cette idée de différences mélangées, et de créer tout le temps ainsi. C’est aussi cette idée de s’approprier des langages pour les faire évoluer, trouver de nouvelle punchlines. C’est l’évolution du langage que les êtres humains ont toujours connu. Comme la musique finalement.

L’un des grands moments du disque, c’est ce morceau « Garde-Fou » qui dure 15 minutes, coupé en deux parties très distinctes. La première avec Mile Ladd, et la seconde avec Marc Nammour. Je ne saurais trop décrire ce pavé, mais ça m’évoque un mélange entre « Starless » de King Crimson et « Barbara » de Mendelson. Je suis curieux de savoir comment ça va donner sur scène.

Moi aussi. On ne l’a encore jamais joué, c’est le dernier qu’on a enregistré. Je l’ai conçu pour le groupe, avec des parties très différentes des deux. Mike a insisté pour qu’il y ait un aspect positif dans leur texte. Mais pour l’aspect musical de notre duo avec Cyril Bilbeaud, sur les albums suivant je suis parti de ses riffs à la batterie, 80% des compositions se passaient comme ça. Sur Polyurbaine, je suis parti de l’énergie des gens et de la ville, et j’ai composé en fonction de ça. J’ai d’abord composé seul des riffs de guitare, chose que je n’avais pas fait depuis Noir Dez et j’avais très envie de faire ça. Mais, la musique du groupe est vraiment venue au moment où j’ai voulu confronter mes idées avec Cyril. Il a un jeu qui m’oblige à être super précis en tant que guitariste. Il m’oblige à avoir de la rigueur. Zone libre, c’est vraiment une musique de duo.

Les parties de batterie de Cyril Bilbeaud, sont épatantes, surtout venant d’un batteur de rock. On n’a pas trop l’habitude d’entendre des rythmes impairs dans ce genre de disque.

C’est d’autant plus incroyable qu’il n’avait jamais joué de rythmes impairs auparavant. Jamais de sa vie. Par contre, il écoute de l’afro beat depuis super longtemps, il a tous les vinyles de Fela. Moi aussi j’en écoute, mais on avait jamais jusqu’ici fait remonter ces influences. Ça me plaisait comme idée.

Le seul véritable riff de rock à mes yeux sur l’album, c’est « A Titre posthume ».

Oui, c’est vrai. Ce morceau est un peu une sorte de boogie. Mais finalement, techniquement, c’est tout con. Je suis parti d’un riff de guitare très simple, ensuite j’ai enregistré la basse avec ma guitare mais à l’aide d’un Octaver (ndlr : une pédale d’effet qui reproduit le son de basse). A partir de ces riffs-là, j’ai construit d’autres riffs qui s’imbriquent dedans, dans cette optique de polyrythmie. Je suis ensuite allé voir Cyril avec ce matériel, on a discuté, et on s’est rendu compte qu’on travaillait finalement sur des boucles. Le challenge pour nous deux, c’était donc d’essayer de faire oublier ces boucles avec nos moyens. Cyril a posé ses riffs de batterie qui fonctionnent sur mes riffs, et puis tout autour il y a plein de subtilités qui font que c’est toujours la même chose, sans jamais être la même chose. Ce n’était pas gagné au début, si ça n’avait pas fonctionné on serait passé à autre chose. Mais on a vu qu’on tenait quelque chose et on a persévéré dans cette voie.



je n’écoute plus de chansons, c’est rarissime. Je me fais chier en fait, car je connais, je l’ai tellement fait par le passé


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La guitare électrique est omniprésente sur l’album. Et je voulais savoir quel est ton rapport avec l’électricité. On vieillit tous et on écoute différentes choses, et peut-être moins de rock. Mais est-ce qu’il y a des guitaristes électriques qui te font toujours vibrer ?

Je suis toujours attiré par les guitaristes, forcément c’est mon instrument de prédilection. Je suis toujours à la recherche d’un guitariste qui va me plaire. Cette année, dans la même famille, j’ai beaucoup écouté The Afrorockerz. J’adore. Je trouve que c’est très proche de Polyurbaine parce qu’ils sont aussi dans une espèce de grand mixe, il y a de l’afrobeat avec plein d’autres influences. C’est plus accessible que Zone Libre car il n’y a pas de rythmes impairs, mais dans le traitement des sons c’est vachement perso. Le leader du groupe est un guitariste français, on se fréquente. Mais dans les autres groupes c’est difficile. Je vais plutôt chercher vers des gens comme Jean-François Pauvros, mais ça fait longtemps que je l’écoute (ndlr : guitariste électrique de musique improvisé et expérimental, membre notamment du groupe Moebius). On est un peu cousins.

Chez les américains ? Marc Ribot peut-être ?

Oui, bien sûr. Ribot c’est quelqu’un que j’écoute quand j’ai l’occasion. Après, il y a des gens plus expérimentaux, mais ce sont des morts, comme Derek Bailey, ou Fred Frith, que j’ai revu il n’y a pas longtemps avec Massacre. Ce sont des guitaristes qui cherchent en fait. Ou sinon Duane Denison de Jesus Lizard, il a fait ensuite des trucs très intéressants ave Tomahawk, le groupe de Mike Patton. A une époque, j’ai aussi vachement écouté le Jon Spencer Blues Explosion. Ça reste toujours quelque chose qui me plait, leur blues explosé. Tu sens l’électricité, et ça, ça me plait. Ils jouent au-devant du temps, et ça crée une urgence dans leur musique. J’ai mis longtemps à comprendre ce que cela voulait dire. Parce que moi je joue naturellement comme ça, mais après l’analyser, c’est une autre histoire. En ce moment, j’aime beaucoup le guitariste actuel de la compagnie Lubat, mais je n’ai plus son nom en tête. Sinon, comme groupe actuel, j’aime bien Jamie Hince des Kills, un super gratteux. Ils ont vraiment la classe sur scène, une vraie élégance.
Mais je n’écoute plus de chansons, c’est rarissime. Je me fais chier en fait, car je connais, je l’ai tellement fait par le passé. Ce n’est pas ça qui me fait kiffer. J’écoute plutôt des trucs contemporains plus barrés, genre György Ligeti.

A la fin des années 80, au début de Noir Désir, un groupe de rock indépendant comme les Pixies avait redonné un second souffle au rock. Ils semblaient mettre tout le monde d’accord.

J’ai adoré ce groupe. Joey Santiago, quel gratteux extraordinaire. Et même après avec Frank Black et ses aventures extra-Pixies, j’écoutais tous ses disques, car c’est un super compositeur et il avait chaque fois un guitariste qui déchirait. Sinon récemment ça me revient, Jeanne Added, j’aime bien, mais il n’y a pas de guitare sur son disque je crois. Mais j’ai bien aimé la production de ce disque, inventive et personnelle.

Il y a une quinzaine de dates prévues d’ici la fin de l’année. Serez-vous tous les quatre sur scène, Mike Ladd compris ?

Oui, on sera tous les quatre. Puis après, il y aura une deuxième partie de tournée en mars/avril. Et puis ensuite, je fais évoluer le groupe avec deux musiciens : Médéric Collignon au bugle (ndlr qui a déjà collaboré sur Interzone), une sorte de trompette, et Akosh Szelevényi au saxo tenor (ndlr, entendu notamment sur Des visages, des Figures), qui vont nous rejoindre. On va faire des nouvelles créations à partir des mêmes bases musicales de Polyurbaine. On a cinq dates au festival d’Avignon l’année prochaine, c’est déjà signé. Il y a aura donc une formule en sextet, qui va durer jusqu’en 2017, je ne sais pas trop, on verra. Et puis avec Cyril, on va continuer à côté les duos et les ciné-concerts. On en fait toujours pas mal. Je bosse aussi pour la danse avec Carol Robinson, qui vient de la musique contemporaine. C’est encore complètement autre chose. J’ai aussi ce duo avec le peintre Paul Bloas

J’ai organisé ma vie maintenant depuis 15 ans de façon à ce que je joue en permanence. J’ai beaucoup de projets en improvisation, notamment préparés, mais ça reste de l’impro. J’ai constaté que plus je confronte ma musique au public, plus elle évolue. Et meilleur seront mes résultats en recherche musicale. Sinon, je tourne en rond dans ma cave. Il faut donc que je joue le plus souvent possible et dans des circonstances et des contextes les plus différents possibles. Et je m’aperçois que tous les musiciens qui bossent comme moi, on a tous le même objectif en tête. Par exemple, Joëlle Léandre (ndlr : contrebassiste avec qui il a collaboré pour la captation en public « Trans » ) et moi, on ne s’est pas vu deux mois. Quand on se retrouve, on a chacun fait de nos côtés X concerts. Et du coup, on revient avec un bagage enrichi.

A propos de Polyurbaine, il n’y aura pas d’albums de la formule en sextet, juste une série de concerts. Mais je veux faire un album instrumental de ce projet en sextet, qui sortira probablement dans un an. Dans quelques mois, je vais aussi sortir un livre-disque avec le slammeur Saul Williams et le poète et le romancier Michel Bulteau, par les éditions Caedere. On jouera ensemble au mois de mai. Ce sera de la poésie cette fois.

Enfin pour terminer, une question rituelle peux-tu me donner tes cinq albums favoris ?

Young GodsL’eau Rouge
Jimi Hendrix Electric Ladyland
PortisheadThird
Electric MoonMind Explosions
Jesus LizardDawn



Zone Libre – La Montagne (Clip Officiel) par zonelibrepolyurbaine



Zone Libre en concert :



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