« J’commence par me peindre la tête comme un tourne-disque / C’est beaucoup mieux que mon air bête et tellement moins triste »
C’est l’histoire d’un disque d’août que l’on pose par hasard sur la platine, faute de mieux. C’est aussi l’histoire d’une surprise lorsque l’on est saisi par un banjo et des chœurs qui vous emportent. C’est enfin le sentiment de la bonne pioche au moment de remettre le disque au début, pour vérifier que les oreilles ne nous ont pas joué un mauvais tour.
Louis-Jean Cormier n’est pas un inconnu de la scène musicale québécoise, d’abord au sein de la formation Karkwa avec laquelle il obtiendra diverses distinctions ou en tant que jury de l’émission La Voix outre-Atlantique. Ici, c’est l’anonymat. Et c’est tant mieux afin d’aborder cet album avec un maximum d’objectivité.
Les Grandes Artères est le deuxième album du chanteur canadien sorti sous son nom. Après enquête internette, son premier album, Le Treizième Étage, est une succession d’honnêtes chansons folk de solide facture. Mais lui aussi passé totalement inaperçu.
Ce qui frappera au premier abord à l’écoute de ce nouveau disque, c’est avant tout une production de haute teneur que ne renierait pas un artiste anglo-saxon, production qui fait souvent défaut aux artistes francophones de par ici, même si depuis Baptiste W. Hamon ou Chevalrex, on sait que tout est possible à ce niveau-là.
Or donc, Les Grandes Artères contient en son sein des arrangements de haute volée, le banjo déjà cité, les chœurs qui rentrent à point nommé («Traverser les travaux»), les envolées de cordes ou de cuivres («Tête Première»), c’est un disque riche en rebondissements, toujours à propos du discours textuel mais aussi musical désiré.
Quant à la voix de Cormier, cassée par le chagrin, mélancolie qui se brise dans le ton qui grimpe vers les nues, son verbe est toujours juste. Il y aura bien sûr l’exotisme du champ lexical québécois (champlures et calorifères) mais son accent typique n’est pas même agaçant. Il aurait d’ailleurs ce petit goût de « reviens-y » qui fait les meilleures recettes, parce que l’on a mal compris une expression, pour vérifier une intonation au moment d’observer les éternels débats amoureux et des tournures poétiques inédites (« j’commence par me peindre la tête comme un tourne-disque / c’est toujours mieux que mon air bête et tellement moins triste »).
Quand on connait la justesse des mots de Félix Leclerc, à qui trois phrases suffisaient pour exprimer parfaitement son propos – et l’aura qui l’entoure au Québec, il fallait être sacrément culotté pour dépoussiérer une espèce de comptine du feu troubadour sur la fin de l’enfance et l’émancipation, en ritournelle rock entêtante et désespérée, le temps d’un parfait « Complot d’Enfants ». Ainsi lui redonne-t-il sa place au panthéon des chanteurs historiques.
Et si l’on entend parfois quelque intonation d’un Bon Iver encore en mode folk et racé, il faut surtout voir ici une œuvre personnelle et aboutie. Alors quand un morceau parait un peu en dedans, semble un peu moins bon, il suffit d’attendre tranquillement le lendemain pour s’apercevoir qu’il n’a pas changé outre mesure mais que notre humeur, elle, est maintenant prête à l’accueillir.
Les Grandes Artères, c’est l’histoire de quelques voyages, de faux-départs, de grands axes et contre-allées, c’est l’histoire des différentes pulsations qui rythment la vie.
Tracklisting :
1. Si tu reviens 03:24
2. St-Michel 05:19
3. Tête première 04:19
4. La fanfare 04:11
5. Vol plané 05:05
6. Le jour où elle m’a dit je pars 03:45
7. Faire semblant 03:44
8. Complot d’enfants 03:16
9. Jouer des tours 03:46
10. Traverser les travaux 05:12
11. Deux saisons trois quarts 06:07
12. Les hélicoptères 00:55
13. Montagne russe 04:42