Sur son huitième album, l’un des meilleurs représentant actuel de l’american primitive bifurque vers d’autres formes sonores abstraites.
Pour ceux qui ont découvert l’Américain Daniel Bachman ses deux ou trois dernières années, son huitième album solo et second album sans titre pourrait laisser penser que ce guitariste solitaire élargi son champ d’investigation sonore au-delà de six-cordes acoustique. Après en effet plusieurs albums folk inscrits solidement dans la tradition de l’american primitive établie par John Fahey, le voilà qui s’essaie à l’abstraction et les longues plages de drone atmosphérique.
Pourtant, dès son premier disque paru en 2010, alors qu’il n’avait que 20 ans et se faisait encore appeler Sacred Harp, Daniel Bachman osait déjà cette approche expérimentale sur ses compositions originales. Il s’y était notamment frotté sur le EP Grey-Black-Green, où son fingerpicking prenait un tour fauviste à la Bill Orcutt, le tout perturbé par différentes variations de sustain autour d’un accordage en ré mineur. Son nouvel album sorti sur le vénérable label Three Lobed Recordings (initiateur de la fantastique série Parallelogram et qui vient de rééditer une partie du catalogue du regretté Jack Rose), se veut pourtant des vertues pastorales voire environnementalistes : les titres des morceaux sont inspirés de fruits ou fleur,ou de son… chien.
Ce retour partiel à l’électricité et l’expérimentation surprend donc un peu, surtout après son précédent opus, River, qui faisait état de résistance par son parti-pris solitaire et épuré, fidèle à l’école Takoma. Acte de résistance aussi en regard à ses camarades William Tyler et Ryley Walker qui enregistrent désormais leurs albums (voire tournent) avec le renfort d’un véritable groupe.
Nous avions donc rangé un peu trop vite Daniel Bachman dans une catégorie passéiste. Sur ce nouvel album, l’as de la Weisenborn (cette lap steel acoustique qui se joue assise, prisée notamment par Ben Harper) réserve encore en majorité quelques compositions de blues/folk intenses et hypnotiques dont il a le secret. Deux belles plages pastorales notamment : l’intrépide « The Flower Treet » et le bluegrass lumineux « Wine and Peanuts ». D’évidence, le courant alternatif passe ailleurs, sur les titres « Brightleaf Blues I » et « II », qui inaugurent chaques faces du disque. Le premier ouvre symboliquement l’album par un bourdonnement comme sortant d’une scierie, provoqué par un frottement sur le manche d’une six-cordes acoustique. Cette séquence dénuée de mélodie dérive pourtant lentement vers des arpèges méditatifs, interprétés avec un sens de l’abandon, d’une quiétude mélancolique comme seul les anciens savent transmettre (rappelons que le jeune homme n’a que 26 ans). « Brightleaf Bluest II » est le titre qui va plus loin dans les retranchements, vers la perte de repère dans l’espace. Il installe une plage atonale, donc sans la moindre mélodie, durant près de quinze minutes, cette fois autour d’un drone résultant d’une guitare électrique. Le son est pourtant moins industriel que sur sa première partie « Brightlead Blues », plus proche de la douceur de l’aurore et de la lumière qui se lève.
Enfin, « Watermelon Slices on a Blue Bordered Plate » et « Farther Along », les deux dernières compositions qui suivent, reviennent aux fondamentaux de l’american primitive. Deux étreintes solitaires au picking emprunt d’une tendre mélancolie, magnifiquement interprétés sans grandiloquence ni impatience dans la vitesse d’exécution (on sait pourtant Bachman capable d’une dextérité incroyable). Tout comme le chef de file Glenn Jones, il y a dans le jeu de Bachman une expressivité, une profondeur (d’âme) qui nous parle bien au-delà des mots. A 26 ans, son cheminement en terme de spiritualité est tel qu’il a déjà trente ans d’avance, sur les camarades de sa même génération. Si jeune et déjà tellement expérimenté, tout le délicieux paradoxe est là.
Daniel Bachman sera en tournée en 2017 en Europe
Three Lobed Recordings – 2016
Tracklisting:
- Brightleaf Blues (I)
- The Flower Tree
- Wine and Peanuts
- A Dog Named Pepper
- Brightleaf Blues (II)
- Watermelon Slices on a Blue Bordered Plate
07. Farther Along