A l’ombre depuis 30 ans, les persistants Modern English retrouvent leur feuillage d’origine. Une repousse somme toute inattendue.


Modern English s’ajoute aujourd’hui à la déjà conséquente cohorte de reformés – une longue procession de formations sur le retour à la recherche de leur lustre d’antan. Cette renaissance est-t-elle digne … et d’intérêt ? A l’écoute attentive de ce nouvel LP la réponse est positive. Il n’y avait vraisemblablement pas foule en 2016 pour imaginer ou guetter cette reformation. Issue de la mouvance post punk et new wave, tombée dans le grand nulle part, les anglais n’avaient d’ailleurs à l’époque de leur splendeur jamais emporté la mise dans leur contrée natale. Le succès sera plus substantiel aux Amériques, car adoubé par MTV et porté par quelques titres majeurs. Ils seront néanmoins rapidement éclipsés par les apprentis ténors de l’époque – Bauhaus, Joy Division ou Cocteau Twins. Pourtant, en y regardant de plus près, ce retour suscite une nostalgie positive.

La première est de replonger dans les arcanes alambiqués, obscurs et rêveurs du légendaire label 4AD. De reprendre le pouls de l’époque et de constater à nouveau la pertinence de ce label anglais novateur, période où l’on achetait les disques sur la seule foi de 3 lettres et d’un logo … et d’une pochette !

Axis sera la première mouture de 4AD. Elle est ouverte en 1979 par 2 employés de la major Beggars Banquet (Ivo Watts-Russel et Peter Kent). Elle sera rapidement renommée pour des raisons contractuelles en 4AD. Sous division de Beggars, 4AD va rapidement justifier sa spécificité. Dès 1980 les premières sorties du label s’enchaînent : Bauhaus, Rema-Rema, … ; le 1er 45t de Modern English- ‘Swans On Glass/Incident’ labélisé sous la référence AD 6 sort en mai 80. Une mélodie post punk acérée et sans fioritures.

Dès 1981 le graphiste Vaughan Oliver intègre l’écurie 4AD. Il va durablement apposer son style. Avec son voisin du Nord Peter Saville, locataire de Factory Records, ils rivaliseront chacun de créativité, et apporteront une forte identité visuelle à leurs labels respectifs. La pochette du 2ème single de Modern English « Gathering Dust » sera le premier travail d’Oliver pour 4AD. Tout aussi percutant que leur précédent, ce titre suit une trajectoire musicale directe, les musiciens jouent sur un fil – post punk – tendu et aiguisé comme une lame de rasoir. Robbie Grey (chant), Gary McDowell (guitares), Mick Conroy (basse), Richard Brown (batterie) et Stephen Walker (claviers) sont ses membres fondateurs. Le groupe s’est formé à Colchester, ville moyenne du nord-est de l’Angleterre située dans le comté de l’Essex – cité plus connue aujourd’hui pour avoir vu les premiers pas de la formation Blur.

En avril 1981 leur premier LP Mesh & Lace emprunte logiquement le même couloir sombre et étroit que leurs simples précédents. Mesh & Lace est un disque notable de cette période, un mélange hermétique de sonorités noisy, d’influences gothiques et tribales, bref une new wave anxieuse et expérimentale. L’année suivante, sur leur second After The Snow, Robbie Gray et ses comparses desserrent l’étau. Sous forte influence du producteur Hugh Jones (Echo & the Bunnymen, Simple Minds), Modern English abandonne sa rage. Jones les convainc également qu’une chanson avec un refrain ne représente pas forcément une trahison ou un reniement. Il en découle naturellement un hit : « I Melt with You », mélodie à la courbe ‘Curesque’. Bien exposé par MTV, ils embrassent à plein corps la new wave et la pop synthétique. Ricochet Days en 84 maintient ce cap, mais sur un tempo par intermittence plus dance et moins consistant. « Hands Across the Sea » sera son étendard.

 

2016 ! Via l’incontournable site de souscription PledgeMusic, devenu la plaque tournante de la nouvelle chance, Modern English bénéficie rapidement des fonds nécessaires. Take Me To The Trees est autoproduit par la formation originelle minus le batteur Richard Brown. L’ambiance est relax. Le baromètre est au beau fixe. Dans la continuité de la réédition vinyle de Mesh & Lace, la feuille de route est toute tracée : capter à nouveau l’urgence et la noirceur de leur début, retrouver de vieilles connaissances : Martyn Young (Colourbox, M/A/R/R/S) coproduit cet opus et le vénérable Vaughan Oliver reprend ses crayons et ses pinceaux. Mais le plus important : tenir son rang.

Pour ce come-back, Robbie Gray s’adresse au monde : ‘’Hey Mr World’’ ; cette première repartie est associée au thème de la corruption et déclamée au son d’un rythme dense et d’une basse pesante. ‘You’re corrupt’ est son titre. Le moteur déjà à plein régime vibre de toute part. La mélodie est entêtante, mais inconfortable. Ces premières paroles actualisées en version 2017 auraient pu être – Hey Mr Trump ! « Trees » est plus lumineux, la mélodie associée à la voie de Gray nous fait diablement penser au Wire de Colin Newman. La mesure se poursuit et ne s’infléchit pas sur « Moonbeam ». Une ligne musicale et des inflexions exotiques, un synthé en boucle, additionné d’une basse dynamique, portent à eux seuls cette mélodie. Le chant n’est là qu’en invité.

Le tempo est freiné sur “Something’s Going On”, la basse de Conroy truste le morceau, puis à mi-chemin la mélodie prend de l’ampleur et fugue. On commence à le percevoir, les années 4AD période Mesh & Lace sont en ligne de mire. Délestés de tout superflu ils ont tout de même préservé leur austérité. Même leur mélancolie semble les avoir quittés. D’un point de vue technique et esthétique on ne retrouve pas l’ampleur et le son d’antan. Martyn Young et les musiciens ont trouvé un concept. Un son confiné, dense et noué qui va à l’essentiel. Les titres les plus ouvertement rock -« Sweet Revenge » et « I Feel Small » – n’échappent pas à cette règle. Le 1er est encore accompagné de quelques apparats – claviers et synthés – quant au second – le plus pop et entraînant – il ne l’est plus. A son opposé « Come Out Of Your Hole » est une ballade mélancolique et pure, un appel vers la lumière. En plein jour, ‘Flood Of Light’ nous conduit à la vitesse de la lumière vers le dernier morceau “It Don’t Seem Right”, qui se construit et s’étoffe à mesure de son avancement.

Modern English a retrouvé ses repères : Vaughan Oliver à l’illustration et un son rêche et minimaliste comme à leur origine. Il ne manquait plus qu’une signature sur 4AD pour que la boucle soit bouclée. Mais 4AD n’est plus le label que l’on a connu, alors …

Kartel Music Group – 2017

http://modernenglish.me/

https://www.facebook.com/m0dernenglish/

Tracklisting :

  1. You’re Corrupt
  2. Trees
  3. Moonbeam
  4. Something’s Going On
  5. Dark Cloud
  6. Sweet Revenge
  7. I Feel Small
  8. Come Out Of Your Hole
  9. Flood Of Light
  10. It Don’t Seem Right