L’ami américain Guy Blakeslee (aka Entrance) se métamorphose sur son lyrique et orchestré cinquième album.

 

 


Le songwriter de Baltimore et multi instrumentaliste de 35 ans ne ménage pas ses émotions. Book Of Changes est un livre ouvert d’où s’échappe un florilège d’émotions. Un travail d’orfèvre qui s’appuie sur un songwriting de haute volée. Guy Blakeslee met son cœur à nu. Sa pop expressive est emplie de ferveur. Assurément une découverte pour beaucoup. Book Of Changes n’est pourtant pas son coup d’essai. Blakeslee a vécu plusieurs vies. Dans les années 2000 il s’élance en solo, mais sous le patronyme Entrance. Quatre albums sont produits entre 2003 et 2006 ; il y joue une pop acoustique et expérimentale ainsi qu’un folk-blues assez primitif. En 2009, il cherche et trouve de la compagnie : Paz Lenchantin (Pixies) et Derek W. James (Girls, Bonnie ‘Prince’ Billy) l’accompagnent désormais. Sous l’entité The Entrance Band ils invoqueront les divinités hypnotiques du rock psychédélique et évolueront sous la pesanteur du stoner rock. En 2014 Blakeslee jette une nouvelle bouteille à la mer. Sous son propre nom, on l’écoutera manier les synthétiseurs et embrasser l’indie rock (Ophelia Slowly). Son suivant, l’instrumental The Middle Sister, mettra à jour en 2016 des compositions d’American Primitive entremêlées à des textures Krautrock.

En 2017, il reprend le fil musical qu’il avait tissé à ses débuts. Book Of Changes est son cinquième opus 11 années après son précédant Prayer Of Death. Mais ce fil s’est étoffé, de raide et rugueux, il s’est maintenant enroulé sur lui-même, pour devenir plus sculpté, chamarré et ornementé. Son mode opératoire a aussi évolué. Son but : simplifier au maximum sa manière d’écrire. Son idéal : que ses chansons puissent être reprises simplement autour d’un feu de camp.

Blakeslee est le musicien à tout faire sur ce nouvel LP. Multi instrumentiste, guitariste expérimenté, coproducteur, il s’est par contre idéalement entouré pour les à-côtés. Des à-côtés d’importance tout de même. Co produit et mixé par le songwriter David Vandervelde (Father John Misty), Book Of Changes est aussi mixé par Chris Coady (Future Islands, Cass McCombs) et masterisé par l’ingénieur du son Sarah Register (David Bowie, The Shins). L’affiche est belle et ne déçoit pas. Se rajoutent aussi ses anciens comparses Paz Lenchantin (qui délaisse sa basse au Pixies pour assurer au violon) et Derek W. James toujours à la batterie. En 2016, il avait déjà dévoilé ses intentions sur un EP 4 titres (Promises). Ces 10 nouvelles précieuses compositions confirment un état de grâce. Dès les premières notes sa voix occupe l’espace et accapare notre attention. Le petit miracle est qu’elle ne sera jamais envahissante ni épuisante. Elle offre un contrepoint à sa musique majestueuse et orchestrée.

Une première écoute suffit ! La suite ne nous décevra pas. « Always The Right Time » est une bénédiction pop ponctuée de violons, parcourues d’arpèges de guitares clairs et aériens, de chœurs féminins rêveurs, d’un xylophone et de quelques carillons. La panoplie rêvée pour une chanson pop. Si talent il y a ? Et il est là.

Blakeslee est de bout en bout en bonne compagnie. Jessica Tonder et Lael Neale distillent leurs voix féminines spectrales et rêveuses avec parcimonie. Leurs refrains évanescents sont de toutes beautés et concourent à la réussite et l’ambiance de ce disque. Le passionné « I’d Be A Fool » est un autre sommet. Quelques accords de guitares hispanisantes, une douce saturation de ces mêmes guitares, et l’essentiel, une mélodie imparable. Ce morceau exhale une douce folie et une mélancolie homérique. Sur un aspect contestataire (“America is running out of time”) le musicien américain y glisse une romance.

Une influence avérée – une figure tutélaire – se distingue aussi clairement. Le fantôme d’Arthur Lee (Love) est omniprésent sur « Molly ». Ce morceau est un bijou. Il débute par un touché ciselé de guitare acoustique, légèrement surannée, et aux influences médiévales ; le reste est une découverte de tous les instants. Les moments forts se succèdent : « Revolution Eyes » fait sa révolution en grand format. Rien ne lui résiste. Sur un tempo pop-rock enlevé, Blakeslee soigne tout particulièrement la production. Ample et spacieuse elle vit par son chant expressif et vigoureux. Book Of Changes est aussi un carnet de voyages. Pas moins de 11 studios d’enregistrements différents seront visités (à Londres, en Californie, en Croatie, Suisse ou Hollande). Chacun de ses lieux a pesé dans le résultat final. Quelques courts instrumentaux crépusculaires ponctuent aussi ce disque. Puis le climat évolue. « Summer’s Child » comme son nom ne l’indique pas tend vers une chanson de Noël ; un rythme solennel, des cœurs angéliques et un sifflement à la Andrew Bird, voilà pour le décorum. “Winter Lady” fut une des premières chansons écrite, “Summer’s Child” l’une des dernières. Un pont entre ces deic titres – la chanteuse Lael Neale – qui y campe deux personnages bien distincts. Ces deux titres s’imbriquent l’un dans l’autre et s’attirent comme 2 charges opposées.

Tout est finalement une question de dosage. Guy Blakeslee a trouvé la formule, et n’a surtout pas eu la main lourde. Book Of Changes est une belle réussite.

Label : Thrill Jockey / Differ-ant – 2017

https://thrilljockey.com/index

https://www.facebook.com/entrancelives/

Tracklist :

  1. Warm And Wild
  2. Always The Right Time
  3. I’d Be A Fool
  4. Summer’s Child
  5. The Avenue
  6. Molly
  7. Winterlude
  8. Winter Lady
  9. Leaving California
  10. Revolution Eyes