A la maison et à leurs rythmes, la formation culte du New Jersey apprivoise la tranquillité.


Le talent ne compte pas les années. Fringants et affûtés, les Feelies tiennent sobrement leur rang, affichent une acuité souveraine, et conservent intact leur état d’esprit. Les musiciens du New Jersey prennent manifestement toujours du plaisir. La réciproque est vraie.
La date de leur création n’est pourtant pas de première fraîcheur ! L’aventure a débuté dans la révolte en 1976, quelques mois avant la déferlante de 1977. Ils vont pourtant sagement patienter quatre années pour expulser leur première pièce maîtresse – l’influent et frénétique Crazy Rhythms. Un maillon essentiel qui viendra s’articuler dans la longue chaîne musicale du post punk et du rock indépendant. Pelote de nerf musicale construit sur un rock au rythme syncopé, Crazy Rhythms est un bain bouillonnant d’énergie. Autre caractéristique, le timbre de voix du chanteur Glenn Mercier est quelque peu distendu, tout l’inverse de la rythmique hyper volubile. La batterie régulièrement mise en avant, fait monter d’un cran la température.

Ce premier album construit illico la réputation du groupe qui se voit en parallèle accaparé par le vivier des collèges radio. Mais jamais bien longtemps ils ne s’exposeront à la lumière – estudiantine ou non. Une attitude humble et anti rock-star qui ne les empêchera nullement d’avoir l’esprit rock ‘n’roll chevillé à leurs guitares. Toujours aussi ils soigneront leur emploi du temps : un max de pause et pour le reste,  la musique en mode « on se fait plaisir et on ne se presse pas ». La cool attitude, découlant elle-même de la DIY attitude.

Au fil des années quelques disques tout aussi passionnants seront semés : The Good Earth (1986), Only Life (1988), Time for a Witness (1991). Le spectre musical est assez réduit et homogène : folk –rock, soft  grunge rock ou rock-indie seront usités. La rareté de leur prestation est inversement proportionnelle à leur réputation. Pour preuve : Sonic Youth les invitera en 2008 à un concert de reformation à Battery Park – New York City. 17 ans, cette année-là, qu’ils n’avaient plus donné signe de vie. 2011 enfin, actera d’un retour discographique, via le nuancé Here Before. Puis mini break, pour réapparaitre le jour du record store day de 2016, sur un EP 4 titres de reprises (Uncovered). En quelque sorte un instantané de leur nombreuses covers  disséminés régulièrement ici et là durant les rappels de leurs concerts.

Glenn Mercer et Bill Million (chanteur, compositeur, guitariste), Stan Demeski et Dave Weckerman (batteur) et Brenda Sauter (bassiste) éclairent à nouveau notre chemin en cette année 2017. Un chemin bordé d’arbres rectilignes illustre aussi ce 6ème album. Le frère de Glenn a pour l’occasion décroché de son frigo une de ses photos souvenirs d’un voyage en France.

Haledon – New Jersey – est toujours leur base. In Between respire les mêmes bonnes senteurs que son prédécesseur. La cadence y est moins frénétique qu’à leurs débuts. Les ‘vieux’ recherchent un peu moins la frénésie des sons, et aspirent à plus de calme, en outre les oreilles de Glenn Mercer sont devenues ‘fragiles’ ; tout concourt donc à ralentir le tempo. Enregistré à domicile dans le studio de Mercer, In Between débute avec le micro branché à la fenêtre, les bruits de la nature nous sont restitués, l’atmosphère est sereine, puis calmement les notes et les mots reprennent le dessus, en mode semi acoustique. La production est économe, voir lo-fi, et flirte avec une certaine austérité.  Cela débouche sur une ambiance musicale détendue. Une ligne de partage discontinue viendra délimiter tout au long de cet opus des moments relax avec d’autres quelque plus velvetiens – aux guitares acérées et mordantes. Notre cœur balancera avec joie de l’un à l’autre. Le cas d’école est ce premier titre éponyme (on y revient), et celui de clôture, son jumeau électrique « In Between (Reprise) ». Quand l’un fleure bon le patchouli, le second explose le potentiomètre, et déborde de partie exaltées de guitares saturées, qui ne demandent qu’à sortir de leurs boucles infernales. Une ultime concession aux oreilles de Glenn Mercer !

En renard des studios, Bill Million a placé des micros au plus près de sa guitare, pour capter l’acoustique et la réverb de son instrument. « Turn Back Time » respire justement l’acoustique et le bucolique, et résonne au son de belles sonorités mélancoliques. Dans la même veine, « When To Go » est un réveil en douceur avec vue sur la nature. Les parties de guitares sont ensoleillées. Le placide « Make It Clear » est une nouvelle petite douceur aux accents country. Au son d’un tambourin, d’une voix douce et discrète, ce morceau prend tranquillement ses aises. Sous son classicisme absolu le charme opère. Le temps qui défile semble une préoccupation légitime pour les musiciens. « Time Will Tell » s’est construit autour de la guitare de Million enregistré lors de sa démo. Ces lignes brutes de guitares ont été gardées pour l’enregistrement final, les musiciens ont alors joué et brodé autour.

« Flag Days » et « Been Replaced » sont des versants moins bucoliques ; une bonne rasade de guitares un point c’est tout. “Gone Gone Gone” est un appel, donc tout le contraire de son titre. Un morceau addictif dans la grande tradition de leur début : dynamique, riffs de guitares denses et homogènes, tempo enlevé, paroles et refrains entraînants, et plein de Crazy Rhythms.

Ces musiciens ont tout compris. Sereins, ils privilégient dorénavant leur vie de famille, tout juste interrompue de temps à autre par la sortie d’un très bon disque, et d’une micro tournée de promotion, si possible pas trop éloignée de leur base. Joyeux 40ème anniversaire, et longue vie aux Feelies.

Bar/None Records- 2017

http://www.bar-none.com/

https://www.facebook.com/The.Feelies

 

Tracklisting :

  1. In Between
  2. Turn Back Time
  3. Stay The Course
  4. Flag Days
  5. Pass The Time
  6. When To Go
  7. Been Replaced
  8. Gone Gone Gone
  9. Time Will Tell
  10. Make It Clear
  11. In Between (Reprise)