Avec flegme et sagacité, l’ancien bassiste de Woods entérine sa belle trajectoire en solo.


Kevin Morby peut se regarder dans un miroir. Chacun de ses nouveaux enregistrements en solo vient compléter idéalement le précédant et embellir son patrimoine aujourd’hui bâti sur 4 albums. Il peut noter avec satisfaction la courbe parfaite de sa progression musicale qui prit son origine au sein de la formation indie The Babies. Au côté de Cassie Ramone (Vivian Girls) ils crapahutèrent vers des territoires garage rock. En parallèle, il joue de la basse au sein des psychédéliques The Woods. Il quitta  tout ce beau monde en 2013 pour présenter son premier effort en solo, Harlem River.

Il peut aussi observer dans ce miroir quelques influences notables reflets de sa culture. Son précédent et remarqué 3ème album – Singing Saw conviait Bob Dylan et Leonard Cohen à sa tablée, autour de quelques lampées de country folk chatoyantes et sophistiquées. Aujourd’hui on devine assez clairement ses nouvelles influences. L’écoute attentive (ou distraite !) de certains titres montre une vrai affinité dans le ton et le phrasé vocal avec celui du rockeur new-yorkais Lou Reed. D’ailleurs le message est clair ; il est dans son titre – City Music. Morby quitte donc les collines ensoleillées des environs de L.A. pour se transformer en citadin accroc au bitume et au rock’n’roll. On fantasmera avec lui sur le New York de Patti Smith, Television ou des Ramones. Kevin Morby a cette nostalgie, ce 4ème opus recherche cette nostalgie. Il cherche aussi l’urgence et l’électricité des guitares.

Mais le ton de City Music n’est pas si radical que ça. Car Kevin Morby se soucie aussi de la condition humaine. Celle des nombreux citadins reclus et perclus dans les vastes métropoles et privés de toutes relations humaines. La mélancolie et la noirceur de quelques chansons sont réelles. A l’instar de Taylor Kirk de Timber Timbre, il va explorer cette solitude et cette mélancolie urbaine. “Come to Me Now” est sur ce créneau. Une ambiance de fin de journée irradie ce titre. Un antique harmonium de 1800 vibre de ses notes magiques. Dans le respect de cet instrument, Morby laisse venir à lui sa musique, l’instrumentation est rêveuse, sa voix chaude et apaisée complète magnifiquement le tableau au format panoramique. “Crybaby” est d’avantage rythmé. D’obédience plus rock il étreint fermement Lou Reed dans ses bras, et éteint les dernières flammèches de sa country folk, quant au troisième titre, le basique et binaire “1234”, il enfonce le clou, et rend  un hommage direct à Joey, Johnny, Dee Dee et Tommy. L’esprit Ramones pied au plancher … Ça plane pour eux.

City Music a été enregistré au Panoramic Studio en Californie en compagnie de vieilles connaissances – les ex Babies Megan Duffy (guitare) et Justin Sullivan (batterie) ; la production fut ensuite complétée (chant et mixage) à Portland (Oregon) par le musicien -producteur de Foxygen et membre par intermittence des Black Keys Richard Swift. Entre parenthèse, encore un ami porté sur les riffs de guitares.

Pour ne pas se méprendre sur ses intentions, Morby reprend le “Caught In My Eye” des Germs – combo incendiaire et punk rock de L.A. Kevin Morby y extirpe la mélodie initialement inaudible et masquée par les larsens, pour la parer d’une orchestration semi acoustique magique et enivrante. Morby est un délocalisé (déraciné) permanent. Il se partage en trois à longueur d’année : respectivement dans sa nouvelle maison à Kansas City, dans son ancienne à Los Angeles, et le troisième tiers en tournée. Trois façons de voir et percevoir le monde et son environnement, et pour notre grande satisfaction, douze nouvelles vignettes musicales, sensibles, à fleur de peau et rock’n’roll.

Moins pointilleux et respectueux des conventions que son voisin de palier Ryley Walker (même label Dead Oceans), Kevin Morby apporte un petit côté foutraque et bricolo à certaines de ses chansons. La preuve par trois avec le tortillard mais débridé “Aboard My Train”, le percutant “Tin Can” ou le rêveur et élégiaque “Pearly Gates”. Le musicien et songwriter américain sait aussi nous émouvoir. Avec  le poignant “Dry Your Eyes”, il nous tire quelques larmes des yeux, fait craquer les durs à cuire et paie sa tournée en hommage à Lou Reed. Cet album à sa chanson – éponyme – “City Music”. Elle fleure bon le vintage et exhale une atmosphère rétro entêtante. Un solo de guitare à fleuret moucheté introduit délicatement ce titre le plus long de l’album, puis tranquillement Kevin Morby va hausser le ton. La même séquence musicale, les mêmes paroles sont reproduites, mais sur un tempo et une fréquence plus élevés à chaque passage. Addictif et inspiré. Les confins de la cité sont tout proches. On se retourne une dernière fois, en observant sur “Downtown’s Lights” les lumières s’éteindrent peu à peu sur les milliers d’âmes de la métropole endormie. Une chanson folk dans la grande tradition.

Kevin Morby nous a ouvert les portes de sa nouvelle cité. Chaque année sa consommation d’espace augmente mais son cachet demeure – inspiré et personnel. Une nouvelle halte s’impose dès que possible.

Dead Oceans – 2017

http://www.deadoceans.com/

https://www.facebook.com/kevinrobertmorby/

 

Tracklisting :

  1. Come to Me Now
  2. Crybaby
  3. 1234
  4. Aboard My Train
  5. Dry Your Eyes
  6. City Music
  7. Tin Can
  8. Caught in My Eye (The Germs)
  9. Night Time
  10. Pearly Gates
  11. Downtown’s Lights