Sans anicroche les merveilleux Nits étirent d’un 19ème opus leur exquise discographie.
Tournée vers la pop musique de qualité depuis des lustres la formation néerlandaise des Nits compte aujourd’hui parmi les plus fins mélodistes dans sa catégorie. Revenir pour la millième fois sur un de leur grand classique ou sur un de leurs nombreux trésors cachés est une joie immense et un plaisir toujours identique. Difficile alors de décrocher.
Le rythme entre chacune de leur sortie est néanmoins très tranquille ; les Nits se font désirer ! En artisans confirmés ils consacrent le temps nécessaire à bichonner et polir avec art leurs nouvelles trouvailles. Il est aussi vrai que le trio Henk Hofstede, Rob Kloet et Robert Jan Stips – dorénavant inséparable – est fort occupé à quadriller de long en large leur plat pays. Le groupe en tournée permanente depuis quelques années a sans doute répertorié chaque polder, digue et moulin de leur plate contrée. Hotel Europa justement était le dernier souvenir discographique retraçant leur périple passé mais élargi à l’Europe. On aspirait à de nouvelles compositions ! Les dernières en date remontant à 2012 et leur album Malpensa.
Le premier contact des retrouvailles est visuel – la pochette arty est confectionnée maison. À l’instar d’un Andy Partridge (XTC) plongé dans les dessins et la peinture – les musiciens néerlandais ont étendu leur palette aux arts connexes. L’application qu’ils apportent à la mise en scène de chacune de leur nouvelle tournée en est le meilleur exemple ; le ‘spectateur’ est visuellement et sobrement immergé dans un décor qui associe intimement le plaisir des yeux et des oreilles. La magie opère immanquablement.
Le très personnel Angst est une œuvre conceptuelle, une tranche d’histoire sur l’occupation des Pays-Bas pendant la seconde guerre mondiale et sur la vie dans l’Allemagne d’après-guerre à travers le prisme des souvenirs personnels de Henk Hofstede et ceux de sa grand-mère et de son grand-père. Leurs photos illustrent d’ailleurs le livret du disque prisent à l’époque de leur disque Tent (1979). Pour développer ce thème, le trio a choisi la sobriété. Ce disque est splendide, le temps semble se figer l’espace de ses 10 titres que l’on écoute d’une traite ; puis on s’imprègne encore et encore. Angst n’est pas un cri de colère mais un délicat murmure. Un fil ténu et invisible relie chaque composition rendant ce projet homogène. La guitare est partiellement abandonnée au profit d’un dulcimer chiné dans une brocante sur le chemin de leur studio. Le climat général est construit sur les nappes atmosphériques du clavier de Robert Jan Stips et sur le jeu de batterie tout en touché du magnifique batteur Rob Kloet. Si on osait, Angst est un peu le Laughing Stock ou le Spirit of Eden des Nits. Sous cette homogénéité apparente se cache un processus d’enregistrement s’étalant sur 3 sessions d’enregistrement captées à la volée sur un multi-piste. Les musiciens ont déroulé puis tranché !
Les titres se succèdent aux autres dans la douceur, les notes et les harmonies glissent entre les moments de silence, les mélodies exhalent un doux parfum suranné, mieux aucun morceau ne vient empiéter sur les plates-bandes de son voisin, les musiciens ont trouvé la juste équation.
L’entame “Yellow Socks & Angst” surprend quelque peu par ses effets de voix, somme toute inhabituels de la part de son chanteur Henk. On pressent déjà que cette 19ème réalisation ne sera pas tout à fait comme les autres. La grand–mère de Henk est au centre de ces souvenirs familiaux, le morceau très narratif est agrémenté de cordes. “Flowershop Forget-Me-Not” capte une atmosphère : celle d’un magasin de fleurs ; de sa profusion de couleurs et de senteurs est née cette mélopée au rythme enlevé mais faussement joyeux :
– Life is cadeau, you can get it for free –
Les Néerlandais ont perdu leur apparente joie de vivre. Angst est un projet de musiciens adultes qui se tournent vers leur passé personnel via l’histoire troublée de leur pays. “Radio Orange’’ est la radio des souvenirs – ceux des parents et des grands parents de Henk – les notes glissent entre les silences et flirte par instant avec la musique contemporaine (on pense à leur projet de 1992 Hjuvi a rhapsody in time), les instruments (harmonium, violons et claviers) sont au diapason et construisent ce magnifique morceau. “Lits-Jumeaux’’ retrace l’ambivalence de la guerre où des destins communs prennent brusquement des directions opposés. Le tempo de la chanson est guidé par le touché métronomique du batteur Rob. “Pockets Of Rain’’ est un nouveau joyau, les 3 musiciens sont à l’unisson, Henk suit le tempo imposé par les claviers vintages de Robert Jan et des percussions de Rob. On pense que la cadence va s’accélérer et exploser mais non !
La tendance est aux paysages sonores clairsemés et mélancoliques : une pop atmosphérique à la saveur douce-amère. Dans cette série de perspectives le magnifique et dépouillé “Two Sisters’’ magnifie la voix de Henk Hofstede, ‘’Along A German River’’ et ses quelques touches de claviers disséminés avec parcimonie suivent les méandres tranquilles de la rivière. “Zündapp Nach Oberheim’’ est une ode fragile au synthétiseur (Oberheim, Korg) là où le somptueux “Cow With Spleen’’ relate sous un flux de claviers plaintifs et cinématographiques l’anxiété et le spleen des vaches objets des regards de la population affamée un dernier hiver de guerre.
Les Nits sont un exemple de sobriété heureuse. Depuis 45 ans on se frotte les cheveux de bonheur (ou ce qui en reste) à leur écoute.
Werf/Bertus France – 2017
Tracklisting :
- Yellow Socks & Angst
- Flowershop Forget-Me-Not
- Radio Orange
- Lits-Jumeaux
- Two Sisters
- Pockets Of Rain
- Along A German River
- Cow With Spleen
- Breitner On A Kreidler
- Zündapp Nach Oberheim