L’harmonieux The Lookout, dixième LP de la songwriter américaine Laura Veirs est un chaleureux et inspiré aparté d’americana.


Dans quelques années (le plus tard possible !) on imagine Laura Veirs grand-mère bienveillante accueillir ses enfants et petits-enfants dans sa grande maison natale du Colorado. Entre les nombreuses anecdotes glissées avec malice un disque sera tout particulièrement plébiscité par la famille et les amis … son dixième … à n’en point douter. Car The Lookout a toutes les qualités de l’album charnière. Laura Veirs y semble épanouie musicalement et totalement inspirée mélodiquement. Ces 12 titres s’écoutent l’esprit libéré de toutes obligations. Pas l’ombre d’un grincement ou autres craquements ne viennent gripper son écoute, c’est même un pur moment de douceur folk-pop ; le timbre de voix de Veirs y est limpide et pur, au diapason de l’orchestration toute en touché. La production de Tucker Martine (mari à la ville) est idoine. Les thèmes développés sont pourtant ancrés dans le présent. The Lookout (le guetteur) – en plein no man’s land Trump – n’a pas la position (aux aguets) et l’attitude (anxiogène) du guetteur. Musicalement c’est très peace and love. On le devine d’ailleurs très rapidement. Car à la première chanson venue (“Margaret Sands”) Veirs offre déjà sur un plateau son premier bijou – la pierre précieuse est folk et ses facettes sont travaillées. Le summum de la douceur et de l’équilibre est atteint un peu plus loin sur “Seven Falls” ; une parenthèse idyllique où rien ne vient assombrir cet aparté resplendissant (voix claire et pedal steel guitar aérienne). Tout le bonheur du monde en 4 minutes. Pour ressentir toutes ces subtilités mélodiques Tucker Martine a patiné sa production d’un filtre enjôleur (dream pop) ; l’extrême justesse de cette production tantôt semi acoustique ou un brin plus électrique laisse s’exprimer distinctement chaque instrument et le principal d’entre eux – la voix de sa femme. Seule au piano sur “The Meadow” la démonstration est magnifique, sa montée dans les aigus touche au sublime.

Mais Veirs a bûché pour aboutir à cette belle réussite ; une implication sérieuse et méthodique d’une année, à raison de 4 heures de travail quotidien où 117 chansons seront écrites (14 enregistrées et 12 mises en boite), de nombreuses vidéos postées, la tenue assidue d’un blog, la musicienne a même confié la garde de ses jeunes enfants pour se consacrer pleinement à son projet.

The Lookout fait suite à sa remarquée collaboration case/lang/veirs de 2016 avec ses homologues Neko Case et k.d. lang ; mais il faut déjà remonter à 2013 pour trouver trace de sa dernière production en solo (Warp and Weft).

En souvenir de 2016 (l’amicale et productive émulation du travail en équipe) la songwriter de Portland a reproduit le schéma mais plus ponctuellement. Sufjan Stevens, Jim James (My Morning Jacket) et l’afficionado Karl Blau sont venus aujourd’hui ajouter leurs expertises. Les invités n’ont pas fait le voyage pour rien. Jim James et Laura Veirs ont magnifié l’obscure et acoustique “Mountains of the Moon” du Grateful Dead (Aoxomoxoa -1969) : le picking de la guitare acoustique, les sonorités de la pedal steel guitar de John Hyde et les harmonies vocales éthérées de Veirs, tout y est juste.

Laura Veirs vétéran de la scène country-folk (car il faut le rappeler !) compte une ribambelle d’amis artistes. Un des plus éminents est le musicien de l’Illinois Sufjan Stevens avec qui elle a déjà collaboré en 2015 sur le magnifique Carrie & Lowell. La complicité est encore de mise : “Watch Fire” est joliment rebondissant subtilement acoustique et gentiment pop. Accompagnée, ou seule aux manettes, le niveau d’excellence est constamment maintenu, notamment sur le mélancolique “Heavy Petals”, privé de toutes percussions mais chargé de beaucoup de tendresse. Le plus étoffé “When It Grows Darkest” mélange une basse souterraine et un clavecin joueur ; ce morceau finit par s’éteindre de sa belle mort dans une mini symphonie de cordes rêveuses.

Aujourd’hui Laura Veirs a déjà sans doute un peu tourné la page, au vu de ses nombreux projets à venir, mais pour nous il n’en est rien. On va même se poser, à l’ombre d’un grand arbre par exemple, et bien apprécier ce disque de folk bucolique illuminé aux lointaines réminiscences country.

Bella Union – 2018

http://bellaunion.com/artists/laura-veirs/

https://www.facebook.com/LauraVeirs

 

Tracklisting :

  1. Margaret Sands
  2. Everybody Needs You
  3. Seven Falls
  4. Mountains of the Moon
  5. Watch Fire
  6. Heavy Petals
  7. The Lookout
  8. The Meadow
  9. The Canyon
  10. Lightning Rod
  11. When It Grows Darkest
  12. Zozobra