Les enfants de la côte d’azur le savent bien, il existait autrefois un festival rêvé, niché là, entre lauriers rose éclatants et pins d’alep tortueux couchés par le mistral, le tout bordé du bleu éclatant de la méditerranée. Unique. On y accédait par une passerelle en bois offrant une vue imprenable sur le Cap Sicié, et, à ce moment précis, un sourire déformait automatiquement vos lèvres, tandis que les cigales jouaient leur rôle de métronome, et ce, quel que soit la programmation. Bonheur.
Les Voix Du Gaou, sur la Presqu’ile du même nom, ont fermés leurs portes en 2014 après 17 années d’existence, du fait d’un déficit trop important (manque d’investissement de la mairie, cachets des artistes sélectionnés..). Cependant, devenu culte aux yeux de la population locale, le maire a vite fait de reprendre les choses en main, changer le modèle, et confier l’organisation à une équipe réduite et dédiée. Le festival revient donc gratuit, et table sur une programmation Indie, attirant les groupes sur la route entre l’Espagne et la France par son cadre exceptionnel, surtout.
« Pointu », comme ces petites barques de pêcheurs collées les unes aux autres sur le chemin de la presqu’ile, mais aussi par sa programmation : en 2016, les vétérans grunge de Dinosaur JR et les hurluberlus psyché-folk de Goat tiennent le haut de l’affiche, 4000 personnes se déplacent, c’est déjà un succès. Pour l’édition 2017, Kurt Vile, Ride et Slowdive font se déplacer 10 000 personnes ! L’affiche de l’édition 2018 s’est propagé hors de nos collines, et la presse (pas que spécialisée) se sont fait écho de la performance : un festival gratuit, financé par une petite ville, qui annonce entre autres Sleaford Mods, Suuns et Thee Oh Sees ?
Honneur est donné à un enfant du pays d’ouvrir le bal, Antoni, ex de Mina May (qui a fait les beaux jours des petites salles de Marseille), aujourd’hui exilé au Canada, est de retour avec Flashing Teeth. Le public est sage et concentré devant cette voix si particulière, envoûtante, avec ses compositions sophistiquées, le groupe fréquentant la crème de la scène bordant le Saint Laurent, dont Suuns. Enervés juste ce qu’il faut, ils chauffent particulièrement bien l’espace pour l’arrivée de Spring King, rock ensoleillé, direct et très 90’s, bien calés entre Blink 182 et Nirvana, le sourire en plus. A l’angle d’un soleil rasant, la poussière commence à monter devant la scène : le public s’emballe déjà !
Suuns, justement, débarque devant un public conquis. Leurs albums sont exigeants, terriblement précis (« Hold/still »), et inévitablement, sur scène, c’est un peu plus brouillon. Certains s’évadent donc de la fosse, ne percevant pas l’essence de cette musique cérébrale, avant-gardiste, venue flatter nos oreilles. Ils ont au moins pu se restaurer et être ainsi prêt pour Sleaford Mods, qui ont fait ce que l’on attendait d’eux : alors que beaucoup étaient ébahis devant la performance du « DJ » Andrew Fearn (une bière à la main, hochant la tête et se contentant de double-cliquer sur son pad pour envoyer la musique), tous ont succombé aux vociférations de Jason Williamson, pure, aguicheur, qui beugle magnifiquement autant qu’il rap, et dont les postillons lancés à profusion pendant tout le set et mis en valeurs par l’éclairagiste firent office d’effet visuel inattendu.
Avec des effets visuels plus académiques (un grand voile à demi volant sur lequel sont projeté des vidéos sombres), Godspeed You ! Black Emperor impose son ambiance noire, avec de lentes et longues montées accouchant de superbes explosions. C’est riche, ça se mérite, mais le publique quitte peu à peu l’espace, ce qui est parfait pour limiter les bouchons du retour (rappel, le Gaou est une presqu’ile).
En ce dimanche de Juillet, le soleil est de plomb, les cigales ont poussé le volume sur 11, et les tatouages sont de rigueur chez les festivaliers, la soirée s’annonçant encore plus rock que la veille. Avec un peu de retard, et, semble-t-il, un peu de stress avant de monter sur scène, Deap Vally prend possession des lieux en balançant des hymnes direct façon Black Keys (des débuts) avec une voix très inspirée d’Alison Mosshart. C’est lourd, c’est gras, les Varois ont eu comme un petit Starcrawler pour eux ! On aurait aimé les voir de nuit pour profiter d’éclairage plus en lien avec les tourments de Luis Vasquez, mais Soft Moon assure le spectacle à base d’effets bizarres, ambiance 80’s torturées, et une maitrise impressionnante des percussions (métalliques). Les corbeaux dans le publique se disent qu’ils ne sont pas venu suer en bottes pour rien.
Ne comptez pas sur Fidlar pour faire retomber la pression, ces punks Californiens cool et crasseux ont déjà deux albums enragé à leur actif, et proposent cette même fausse nonchalance une fois sur scène pour vous faire mouiller le maillot. Faisant la part belle à leur second opus, ils sont conscient de ce que le public attend : « hey les gars, vous voulez voir Thee Oh Sees ?! ». Car John Dwyer est toujours le patron de la scène Rock-Indé International, et il est quasi impossible de se lasser de l’énorme vague d’énergie qu’il envoi sur scène, d’autant que les Oh Sees (leurs noms depuis l’an passé) savent faire évoluer leurs tubes (de savants changement sur l’imparable « The Dream » notamment), et utilisent (enfin) à fond l’apport de la deuxième batterie avec leurs compositions plus récentes (« Animated Violence », par exemple). Le public est littéralement soufflé par la prestation, et Carpenter Brut, avec ses visuels de série B des années 80 et son Electro-Rock entretient encore un peu la flamme, et fait lentement redescendre le rythme cardiaque, avant de rentrer se coucher.
Ah, au fait, ils étaient 12 000 spectateurs ce week end là. Pas mal pour un petit festival municipal, non?
Crédit photo (toutes les photos, dont la couverture): Gaelle Beri