Rencontre avec le tenancier de Villagers, Conor O’Brien, à l’occasion d’un quatrième album radieux et habité de soul, The Art Of Pretending To Swim.
Sur son nouvel album, The Art Of Pretending To Swim, le songwriter irlandais Conor O’Brien démontre qu’il n’a pas peur de plonger corps et âme vers des horizons inédits, loin de la folk introspective de ses débuts. Le cerveau derrière Villagers accouche d’un 4e album spacieux, lové de vibrations positives.
Techniquement parlant, la gestation de ce quatrième opus fut pourtant loin d’être un chemin tranquille. Le songwriter a délibérément bousculé ses vieilles habitudes, d’abord en déménageant de sa petite ferme pour s’installer dans un appartement à Dublin. Ensuite, réapprendre dans son nouveau studio d’enregistrement, afin de trouver le chemin de ce quatrième album. Paradoxalement, on y trouve aussi une volonté de revenir vers une certaine spiritualité, à travers de délicates touches de musique soul version 2.0, minimalistes et sophistiquées. Une soul parfois même transcrite au travers de sons et pulsations rythmiques inédites, parfois urbaines, comme sur l’incroyable « Long time Waiting » qui nous évoquent les battements d’un coeur. Cette petite révolution opère trois ans après le disque exutoire Darling Arithmetic (et son courageux coming out), puis le non moins vibrant disque live enregistré studios Where Have you Been all my Life (2016).
The Art Of Pretending To Swim offre ainsi un écrin pour Villagers, désormais loin de la mélancolie folk du premier album, davantage tourné vers des textures atmosphériques, portant les introspections d’O’Brien vers des ambiances electro subtiles, minimalistes, parfois orchestrées comme sur le spectrale “Hold Me Down”.
Juillet 2018. En cette fin d’après-midi où la canicule commence à devenir supportable, Conor O’Brien se présente à nous, rasé de près, sourire timide et certainement épuisé par une longue journée de promo, qu’il essaie élégamment de ne pas laisser transparaître. Notre entretien est périodiquement perturbé par des cris extérieurs, ceux de voisins désespérés regardant le traumatisant match de la Mannschaft en train d’être pulvérisée par la Corée du Sud. Avouons, il y a de quoi être émotif. Pas de quoi pourtant troubler Conor J. O’Brien, qui compte bien mener cet entretien à bon port.
Pinkushion : Voilà deux ans, vous avez déménagé de votre ferme provinciale, où vous aviez enregistré tous vos albums studios précédents, pour partir vivre à Dublin. Passer de la tranquille campagne à l’agitation urbaine, a dû être un changement important pour vous. Est-ce que cela a impacté dans l’écriture de l’album ?
Conor O’Brien : Je pense . L’album sonne plus… (silence) occupé, je dirais. Darling Arithmetic sonnait spacieux en quelque sorte. The Art of Pretending to Swim est un disque plus groovy. Peut-être urbain, comme vous dites. Aujourd’hui, quand je place un microphone près de la fenêtre j’entend des voitures, avant j’enregistrais plutôt des bruits de vache…. Ce sont évidemment des sons – field recordings – différents que j’écoute aujourd’hui et qui m’influencent. On peut toutefois entendre une mouette sur la première chanson du nouvel album. J’étais en fait dans la banlieue de Dun Laoghraire lorsque je l’ai enregistré.
Sur The Art of Pretending to Swim, vous vous distinguez en multipliant les casquettes, dont celle de producteur.
Le fait est que je ne pouvais pas écrire de chansons, car j’étais trop occupé la première année à lire des manuels techniques (rires). J’ai construit un studio d’enregistrement chez moi, installé une table de mixage, et j’ai été obligé d’apprendre à utiliser des logiciels comme Pro-Tools, manipuler un sampler, des boîtes à rythme… De fait, pour m’habituer à ces nouveaux outils, j’ai alors commencé à travailler sur un projet electro personnel. Cela a surtout pris beaucoup de temps car j’ai du réapprendre dans ce studio à faire les choses d’une meilleure façon, jusqu’à ce que cela sonne suffisamment bien à mes yeux. Et puis finalement, j’ai recommencé à écrire des mots, et le résultat est redevenu un album de Villagers.
Aujourdhui, comment considérez-vous Villagers ? En tant que projet solo ou bien un collectif de musiciens orchestré par vous ?
Lorsque vous regardez un concert de Villagers, la configuration généralement se rapproche d’un groupe de trois ou quatre musiciens, et spécialement sur la nouvelle tournée où il y aura un batteur et un claviériste. Par contre, en studios, je suis seul. Mais à la fin de l’enregistrement de l’album, mon ami Cormac Curran, qui a déjà signé des arrangements sur les trois précédents albums, est venu jouer du synthétiseur et d’autres choses… d’autres amis sont venus jouer de la basse et de la batterie. Maaike Van Der Linde, une flûtiste néerlandaise dont j’ai produit le dernier album, a participé également.
Une des nouveautés sur ce disque, c’est l’usage de samples. On pouvait en entendre de manière subtile sur les disques précédents, mais cette fois, vous utiliser quelques échantillons de voix, un peu à la manière de Moby sur Play. Notamment “What Then” de l’ensemble gospel Dixie Hummingbirds et “Sugar Lee” de Donnie Hathaway.
Moby était énorme lorsque j’avais 14 ou 15 ans, mais ce n’est pas une influence direct sur l’album. Tout a démarré lorsque je me suis mis à écouter sur YouTube le titre “What Then”, de la chanteuse américaine Mahalia Jackson. J’étais obsédé par cette chanson, je l’écoutais tout le temps. Et puis j’ai découvert la version du groupe gospel The Dixie Hummingbirds. J’ai entendu cette boucle que je pouvais intégrer à ma chanson. C’est une chanson assez sombre, et ce sample apporte un peu de lumière, de salut je dirais.
La biographie du label, dit que ce nouvel album est un retour à l’esprit de Becoming a Jackal et Awayland. Personnellement, j’ai plutôt pensé à Where Have You Been all My life, ce disque live enregistré en studios. Pour ce côté atmosphérique, cette ambiance calme et son côté cohésif de bout en bout…
Ce sont des disques qui contiennent beaucoup d’idées. Je me suis focalisé ces dernières années au fait de me ralentir un peu. A éviter de trop penser aussi.
Par exemple, vous n’utilisez plus de guitare électrique comme sur Awayland.
C’est vrai. J’ai bien essayé pourtant, mais je n’y arrive pas. Je ne prend plus de plaisir à jouer de la guitare électrique. Je ne sais pas pourquoi, je pense que je suis passé à autre chose. J’en ai eu marre.
Ecoutiez-vous du rock plus jeune ?
Oui, absolument. Plus jeune, mon groupe favori était Green Day (rires) Je n’avais encore jamais écouté les Clash, The Jam… ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé combien ils avaient empruntés à des albums comme London Calling.
J’ai remarqué une chose récurrente dans votre discographie : les paroles tiennent une place très importante dès le titre d’ouverture de chacun de vos albums. Elles semblent donner la direction de l’album. « Again », qui ouvre l’album, n’y fait pas exception. Il y est question de foie, si je ne me trompe.
Dès que j’ai terminé cette chanson, j’ai su qu’elle ferait un très bon morceau d’ouverture. J’aime que la voix soit si claire. Sur le premier couplet, avant que vous entendiez le mot “art”, vous pensez que c’est une chanson qui parle de dieu… « I found a place from my heart for god… ” puis “in the form of art”. Dieux ici n’est pas nécessairement évoqué dans un sens religieux, c’est plutôt ma façon personnelle et surtout mon plaisir de faire sonner le mot. C’est un mot intéressant à développer dans une chanson. J’aime beaucoup ce genre d’effet. Pour moi, cette chanson représente la créativité dans l’art, et une certaine façon de penser librement (rires).
(NDLR nous sommes interrompus par les cris euphorique ou désespérés – on ne sait pas trop, peut-être les deux – de voisins en train de regarder le match Allemagne – Corée du Sud, où manifestement un but a été marqué)
Le football, ça c’est une religion. (rires)
La religion est-elle importante pour vous, ou juste une cause spirituelle ?
Pour moi, ce qui est le plus important, c’est l’expression de la joie, de la foie de gens qui croient en quelque chose, en la vie, l’amour, ou autre, peu importe. Par exemple, l’expression physique de la soul music, a été pour moi un bel antidote à notre mode de vie moderne qui consiste à regarder mon téléphone toutes les deux secondes. A la place, vous écoutez cette musique qui groove, et exprime en vous de la joie. J’ai essayé de me connecter à cette énergie avec cet album.
Une des plus belles chansons de l’album, “Hold Me Down”, a été enregistré avec un orchestre. Il s’en dégage un petit côté fantômatique.
Merci. Elle a été arrangée par Cormac Curran, qui collabore avec Villagers depuis le début. Il a travaillé très dur sur ce morceau, et puis nous l’avons terminé ensemble. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il écrive cette partie, que j’imaginais à l’origine rêveuse et très lente. Et puis il est revenu avec cet arrangement rapide. Au début, je ne savais pas trop ce que ça donnerait, ça m’inquiétait. Mais une fois enregistré par l’orchestre de Dublin, j’étais estomaqué. J’aime beaucoup cette chanson aussi.
Autre titre étonnant figurant sur l’album, “Ada”, qui est un hommage à la mathématicienne Ada Lovelace.
Ada Lovelace (1815-1852) est une femme britannique qui a créé ce que l’on considère comme le premier programme algorithme. Je trouvais intéressant d’en parler car ce qu’elle a créé est à la fois extrêmement impressionnant et beau et en même temps terrifiant. C’est un petit peu une sorte de métaphore sur l’essence ou l’origine de tout.. Pour certaines raisons, je pouvais le connecter avec l’idée de la foie, sur les origines de l’algorithme de l’univers, quelque chose dans cet esprit.
Il y a-t-il des groupes que vous écoutiez lors de l’enregistrement de l’album ?
J’écoute en fait beaucoup de vieille musique. J’écoute en fait des choses qui ne ressemblent pas à ma musique. Je suis allé voir par exemple un groupe de Dublin, The Fontaines D.C. , ils font du très bon rock n’roll, j’avais l’impression d’avoir 15 ans en assistant à leur concert. Ils viennent d’être signés (ndlr : sur Partisan Records, le label d’Idles, John Grant, Cigarettes After Sex…), je suis content pour eux. Quoi d’autres ? J’ai beaucoup écouté The Animal Spirits de James Holden quand il est sorti l’année dernière.
Villagers, The Art of Pretending to Swim, Domino/Wagram – 2018
https://www.wearevillagers.com/
Villagers est en concert le 14 novembre au Trabendo à Paris, le 16 novembre au Boucau à Biarritz