Sur un second album sans concession, les moines psycho s’acharnent à créer un spectaculaire chaos électrique.


Souvent, le premier album est le meilleur. C’est comme ça. On a tous des tas d’exemples en tête. Pas vous ? Le manque de moyens est généralement largement comblé par la spontanéité, la joie unique de la première création, et le peu de contraintes. Celles-ci s’abattent généralement après un premier succès (maison de disque, envie d’élargir son public, production boursouflée, utilisation d’effets superfétatoires…). A l’inverse, parfois, le bonheur grandit d’album en album. Par refus des compromis, ou simplement parce que la fraîcheur et l’envie sont restés intacts.

Les Psychotic Monks ont impressionné il y a quelques mois avec leur premier album, suivi d’une tournée intense, de salles moyennes à petits bars. « Intense », peu importe la taille de l’auditoire. Et cela les a mené sur les plus grandes scènes de l’hexagone, de Rock En Seine au Printemps de Bourges en passant par les Trans-musicales. Partout, ils ont jeté un voile noir, une atmosphère tendue, allongeant les titres jusqu’au déraisonnable, les sensations prenant le pas sur la mélodie, le chaos comme point de mire.

Silence Slowly And Madly Shines avait en lui cette noirceur, mais l’exprimait par une rage Punk/Grunge souvent binaire, gavée de saturation. Quelle suite lui donner ? Le groupe s’est enfermé dans une maison de campagne pour composer, et évacuer ce qui semble être une extrême fatigue due à une tournée harassante. Pour le groupe, un album catharsis, donc. Musicalement, un album-concept.

« Psyché », « Garage », « Punk », « hardcore », « Post-Rock », « Noise »… les étiquettes s’empilent en même temps que les articles élogieux parus dans la presse spécialisée, généraliste, voire féminine (oui, même Grazia y est allé de sa chronique). On y ajoutera un attrait certain pour le sludge-metal, versant Melvins et Neurosis, qui n’hésitaient pas à faire tourner le chrono pour que la pression monte, évitant les constructions traditionnelles, et agrémentant le tout d’effets dissonants avant-gardistes. Dans cette veine, « Pale Dream » est une immersion en douceur dans le monde austère que ces jeunes moines ont dessinée : un piano, des grésillements de guitare, de jack, font l’enveloppe d’une voix désincarnée et lancinante déclamant un texte adressé à une personne manquante. Minimaliste et sophistiquée. Bien qu’amplement plus vigoureuse, « Isolation » ne dépareille pas avec son tempo martial, déchiré par de furieuses vagues électriques, menant le titre à une forme de confusion, jouissive, évidemment.

Parfois harassant, comme sur « Closure », cet acharnement à créer du chaos a quelque chose de salvateur, quand enfin le vacarme se transforme en énergie, comme sur « A Coherent Appearance », qui retrouve la fougue de l’album précédent. Certains titres, plus apaisés (« Emotional Disease », « Minor Division », avec toujours cet écho mystique) permettent de profiter pleinement des paroles et de respirer quelque peu, nous embarquant vers « Every Sight », longue montée angoissante (15’43 !) qu’ils n’hésitent pourtant pas à jouer sur scène.

Les Psychotics Monks n’ont donc pas succombé aux sirènes du succès facile: Private Meaning First est un album ambitieux, maîtrisé, intelligent et… exigeant. Exit la pochette Nirvanesque, bonjour la proposition art contemporain, pour une musique nihiliste qui propose une véritable expérience sensorielle. Les gourous du Rock Indé international de KEXP ne s’y sont pas trompés, braquant leurs caméras sur le groupe de Rock français actuellement bien au-dessus du lot, avec une vidéo tournée dans les locaux des trans-musicales de Rennes. Le succès appelle le succès, et les « vues » se propagent. Nos protégés vont sans doute quitter le cocon hexagonal, et on leur souhaite de continuer à garder la tête froide : jusque-là, c’est un sans-faute.

 

Vicious Circle / 2019

Tracklisting:

  1. Pale Dream
  2. Isolation
  3. A Coherent Appearance
  4. Minor Division
  5. Emotional Disease
  6. Confusions
  7. Closure
  8. A Self Claimed Regress
  9. Every Sight