À 53 ans, le songwriter texan Bill Callahan a trouvé son refuge. Il y est à son apogée musicalement (et humainement).


C’est l’époque de la transhumance. Le berger Bill Callahan assure ce voyage initiatique et guide son troupeau sur les estives pour de longs mois de ruminations paisibles.
C’est bientôt la trêve estivale. Un disque dans notre besace nous permettra de garder le contact (c’est vital) avec la musique. Notre choix se portera fort logiquement sur le sixième album du musicien américain Bill Callahan. Ses propriétés musicales sont en tout point remarquables, elles combleront merveilleusement bien et en toutes circonstances notre humeur versatile. Depuis Dream River en 2013 (et son jumeau dub de 2014), ce discret, impénétrable et talentueux musicien n’avait rien publié mis à part le Live At Third Man Records en 2018. Cette attente conséquente avait quelque peu dilué son image (et oui, prime à l’histoire en marche et à la nouveauté, malheureusement!). Ces retrouvailles sont donc très excitantes.

Sur Shepherd in a Sheepskin Vest Bill Callahan atteint sa plénitude artistique. En pleine force de l’âge, Callahan maitrise pleinement son art. 30 ans de bons et loyaux services à la cause, fidélité presque exclusive depuis ses débuts en 1990 à son label Drag City, 6 albums en solo, deux live, et une tripotée de disques (au-delà de la dizaine) sous l’entité Smog qu’il finit par lâcher en 2007.

Ce sixième opus en solo représente un cycle – celui de la vie, celui de sa vie. En effet, Bill Callahan a connu beaucoup de joies – celles d’un mariage et la venue d’un enfant – mais également subi l’extrême tristesse du décès de sa mère. Cet enchevêtrement de bonheur et de peines digéré, il a remis le pied à l’étrier. Le flot de compositions qui en résulte est très généreux. Son sixième et double LP est une tranquille déambulation. Vingt titres assez courts composent ce copieux retour. La parenthèse est splendide et sereine. Tout semble avoir été aisé, tout est donc très fluide et limpide. Sa folk lumineuse prend sa source au plus profond de sa psyché et cherche ensuite naturellement à serpenter entre ses rêveries, ses doutes et ses peines. Les mélodies sont pastorales et Callahan est aussi bien volubile. Il a beaucoup à nous confesser.

En première intention on privilégiera une écoute sensorielle en s’imprégnant de l’atmosphère élégiaque et du climat contemplatif. On absorbera aussi l’énergie positive qui en émane. On pourra aussi capter à la volée quelques mots ou bribes d’expressions, puis un peu plus tard on s’éloignera de cette option détente et relâchement en faisant l’effort de consulter le livret du disque pour décrypter et traduire ses textes personnels, parfois énigmatiques ou métaphoriques. Dans les deux cas on en retirera beaucoup de satisfaction.
Sa voix de baryton est aujourd’hui contrebalancée par cette atmosphère musicale peaceful. Ce n’est plus l’« Apocalypse » ni la «wild, wild country» (“Drover”). Aujourd’hui sa musique s’est délestée de toutes ses tensions. Le guitariste et homme de confiance de Callahan Matt Kinsey tient un rôle prépondérant et tague cet enregistrement de délicats picking. Les guitares ne sont pas distordues. Shepherd in a Sheepskin Vest est un fil d’Ariane musical. Chacun des vingt titres forment un tout indissociable. Impossible de briser le fil de son écoute.

Sous cette homogénéité de façade la production de Callahan regorge d’atouts et de nuances. Voix et guitare acoustique au premier plan pour ces compositions et second rôle discret pour l’ornement : percussions, piano, synthétiseur Moog, orgue électrique, banjo… . Le tout mis en boîte (mixé et enregistré) par Brian Beattie dans son studio maison (The Wonder Chamber) à Austin, TX. Quelques cœurs féminins viennent aussi très discrètement et furtivement hanter certains des morceaux (“Morning Is My Godmother”). Un seul des vingt titres n’est pas une composition originale, c’est la traditionnelle et ancienne chanson folk “Lonesome Valley” usitée en son temps par la Carter Family et Woody Guthrie.

Les chansons se succèdent dans un sans-faute remarquable. Aucune ne paye de mine, mais toutes ont un éclat intérieur unique. Shepherd in a Sheepskin Vest est un cru exceptionnel et l’une des meilleures années de son propriétaire.
Cette parenthèse idyllique de folk et de poésie orchestrée par un auteur-compositeur au sommet de son art nous invite à nous isoler dans la vallée solitaire, là où se niche la Dream River, à des kilomètres de l’Apocalypse de la ville et au plus proche de la nature.

Drag City / Modulor : 2019

https://billcallahan.bandcamp.com/album/shepherd-in-a-sheepskin-vest

https://www.dragcity.com/artists/bill-callahan

Tracklisting :

  1. Shepherd’s Welcome
  2. Black Dog on the Beach
  3. Angela
  4. The Ballad of The Hulk
  5. Writing
  6. Morning is My Godmother
  7. 747
  8. Watch Me Get Married
  9. Young Icarus
  10. Released
  11. What Comes After Certainty
  12. Confederate Jasmine
  13. Call Me Anything
  14. Son of the Sea
  15. Camels
  16. Circles
  17. When We Let Go
  18. Lonesome Valley
  19. Tugboats and Tumbleweeds
  20. The Beast